vendredi 21 novembre 2008

CHAPITRE 2 « MOBILISATIONS » (1/4)



Constitutionnix avait vu juste encore une fois. Dés ce matin-là, des commandos en tenue de camouflage quittent le fort « Boitedecom » en lançant des cris de guerre tels que « 80%…Enfin proprios de l’assemblée…On ne va pas se laisser emmerder ! ».

Armés de verve acide, ils font les premiers kilomètres camouflés à l’aide d’un très efficace sourire d’apparat enseigné par Démagogix, et d’un polo SPQR histoire de se fondre dans les jeunes actifs. Leur objectif : prendre d’assaut le bourg Televisium. Un lieu stratégique.

Le Plan prévoit qu’ils soient récupérés un peu plus loin, en aval du fleuve Hertzien, par des vedettes rapides que BadBercix leur envoie depuis son repère. Des embarcations qui remontent le fleuve Hertzien jusqu’à son confluent avec la rivière Oisive. Là, ils débarquent pour poursuivre par la route Kathodique qui les mène jusqu’au bourg visé. La bataille est brève. Ayant toujours été de faible résistance, le bourg Televisium s’offre facilement au nouvel occupant.

Dés cette journée, ils contrôlent presque tous les pigeons décodeurs, dont les habitants de Televisium sont les dresseurs. Des pigeons décodeurs, qui installés sur les antennes émettrices, se mettent alors à roucouler en dodelinant la tête une bien étrange rumeur.

Cette rumeur conte que l’on va réduire le pain des anciens, que seul le peuple travailleur cotisera plus en charriant les lourds sacs de blé, d’orge et d’avoine, dans les silos de prévoyance. Le seul peuple travailleur portera jusqu’à ce que ses vieilles jambes se brisent .

Pendant ce temps, le Baron et sa suite se goinfrera dans d’interminables ripailles, fermera ses greniers à la solidarité et en déplacera le contenu dans de gigantesques coffres hors d’atteinte. L’orge, l’or et les ballots de soie seront ainsi confisqués au bien commun ; confisqués et gardés par les terribles Trolls des montagnes ; Confisqués et comptés inlassablement par les gobelins gris des cavernes helvètes ; comptés et entassés sans cesse dans les coffres sans fond des vampires du bien commun. Le Baron rira, repus, bronzé, massé sur une île ensoleillée, protégée par des caïmans géants. Le Baron se gausserait du peuple qui plie, qui casse et qui se rend à la Rente.

La vision accompagnant cette rumeur fait frissonner le vénérable druide mais pas seulement. Tous les habitants d’intérêt général sentent un même frisson leur parcourir l’échine. Un frisson qui sonne l’heure du rassemblement. Chacun se dirige alors vers sa maison de quartier où il retrouve ses confrères.

Dans chaque assemblée, chacun discute, réfléchi, se dispute perturbant le sommeil de l’astre du Jour dans cette longue veillée sociale. De chaque maison devront sortir des délégués qui sur la place centrale du village délibèreront quant aux actions à mener.

En attendant, alors que les douze déesses de la nuit défilent dans le ciel, des éclats de voix aux accents tribuns encore imberbes bourgeonnent. Les animaux de la forêt, les lutins, les fées écoutent ces discussions, un peu perturbés par tout ce tumulte peu festif.

jeudi 20 novembre 2008

CHAPITRE 2 MOBILISATIONS (2/4)



Dans la maison des enseignants, ces oreilles discrètes assistent à un échange un peu vif entre Didactix et Mlle Profsousmorphine. Cette dernière en sanglots lance à l’assemblée, dont une petite partie, au fond, corrige des copies en retard, « la grève nous est interdite car nous avons un devoir de sacrifice envers nos élèves et la société ; disposant de la garantie de l’emploi nous devons nous sacrifier! » Concluant sur la nécessité d’accueillir les élèves, et surtout de « se sacrifier », elle plante nerveusement sa fourchette dans le tupperware rempli de salade qu’elle s’était préparé pour la soirée. Son ami Profsousprozax la soutient, un verre de vin blanc à la main.

Didactix, rétorque alors goguenard : « Mais oui, voyons ! Invitons Démagogix à pousser sa logique jusqu’au bout. Puisqu’on glande et qu’on a la garantie de l’emploi, il n’a qu’à faire cotiser les salariés du public 50 ans et ceux du privé 30 ans. Ainsi on obtiendra une moyenne de 40 ans pour tout le monde ! Il n’y a pas à dire, on fait culpabiliser beaucoup trop facilement un prof. » Puis d’un ton plus sérieux, il poursuit : « La garantie de l’emploi, un prétendu avantage que nous payons doublement. Que nous avons payé en trimant pendant des années passées à préparer les concours. Que nous payons toujours puisqu’à qualification égale, nous sommes moins bien rémunérés que dans le privé ! Et puis une garantie de l’emploi que l’on peut voir, si nous imitons la mauvaise foi de nos adversaires, comme une obligation de travail toute sa vie professionnelle. Nous viendrait-il à l’esprit de jalouser les périodes de chômage rémunérées chez les salariés du privé ? Non ! Pourtant on pourrait prétendre qu’il s’agit-là d’une forme de garantie de l’emploi ou plutôt de salaire. Que l’on cesse donc avec cette grosse ficelle de la garantie de l’emploi. Alors certes oui, nous avons des devoirs. Parmi ceux-ci nous avons celui de défendre ce ciment républicain qu’est l’Ecole. Cela passe par la défense de l’institution scolaire mais aussi de notre dignité. Je ne suis pas un garde-chiourme mais bien un Professeur »

Profsousmorphine pleure alors de plus belle tout en mâchouillant rageusement un pétale d’endive. Ce qui pousse Profsousprozax à prendre sa défense en lançant un vibrant : « oui mais comment t’explique ça aux parents d'élèves, toi ?!? »

« Par Ogmios ! Répond Didactix, « avec des mots et si les parents ne comprennent pas ses termes simples, s’ils ne nous respectent pas, s’ils préfèrent rester attachés à la défense de leur petit intérêts égoïstes réduits à la seule obligation pour l’école de faire garderie tout en livrant des menus scolaires à la carte, et bien tant pis. La dignité et le respect passe par un rappel. Ceux qui ont obtenu les concours, c’est nous ! Ceux qui détiennent l’autorictas que confère le savoir, c’est encore nous ! Je rappelle enfin que jusqu’à présent nous avons toujours manifesté pour les autres, pour l’école, pour les élèves, jamais pour nous-mêmes, pour nos salaires calculés sur dix mois annualisés, sur nos conditions de travail déplorables. Alors ça suffit, on ne réussira plus à nous faire culpabiliser.»

Profsousprozax laisse tomber son verre de vin blanc et se met à pleurer lui aussi. L’assemblée des profs applaudit timidement, excepté ceux qui, au fond, corrigent leurs copies. Ils applaudissent timidement. Ils n’osent pas trop. Ils ont perdu l’habitude d’être fiers.

Après cela, Didactix est choisi pour figurer parmi les délégués qui représenteront la maison des professeurs à l’assemblée générale du village. Il quitte la maison des professeurs et part à la rencontre de Syndicaline. Celle-ci jointe par téléphone portable lui a indiqué qu’elle se trouvait chez son père, occupée à la fabrication de munitions sans donner plus de détails. Didactix a envie de voir ça.

En chemin, il croise des amis qui se rendent dans telle ou telle maison ou qui en reviennent, lui relatant ce qu’il y a été dit. C’est ainsi que Cégétix lui indique que leurs amis Locomotrix, Lignesix, Nationalelectrix, se mobilisent fortement, refusant le chantage dit « des privilèges » ou de « la prise en otage des usagers ».

« Quels privilèges ? » demanda Locomotrix lors de la réunion. Avant de poursuivre sur le fait que si nul salarié n’est prêt à renoncer aux dispositions conventionnelles, aux primes spécifiques et autres « avantages », ou plutôt « des dûs-sociaux », liées aux spécificités de tel ou tel métier, de telle ou telle entreprise, il ne voit pas pourquoi il devrait renoncer aux dispositions en matière de retraites prévues par son contrat de travail. Quant à « la prise en otage des usagers », Lignesix a indiqué que servir le public ne signifie pas accepter d’être asservi par des considérations privées propres à telle ou telle partie du public. À partir du moment où il paye le prix de la grève en y sacrifiant son salaire, la légitimité de l’action est sienne. « Et puis après tout, on ne bloque ni les rues, ni les trottoirs. Si on n’aide pas à se déplacer, on n’empêche personne de le faire. Chacun demeure libre de circuler autrement qu’en se servant de nos services. Les choix possibles restent nombreux. L’habitude du plus pratique n’est pas force de loi.»

Un Cégétix qui doit se rendre dans sa propre maison de quartier où l’y attendent ses camarades Métallurgix, Aéronautix, Carrosserix. Il rapportera à ses camarades ce qu’il a entendu ici ou là et notamment chez Locomotrix et Lignesix. Il leur dira « que les salariés du public sont prêts à défendre leur dû-social, y compris en sacrifiant leur salaire, mais espèrent aussi aider à sauvegarder par leur mobilisation le dû-social du plus grand nombre ».

Cégétix poursuivra d’ailleurs en rappelant qu’après-tout « l’avantage du secteur public n’est pas tant la garantie de l’emploi mais celle de cotisation. Et oui, même s’ils doivent cotiser plus longtemps, ils pourront le faire dans de meilleures conditions que nous puisqu’avec des périodes de chômage parfois très longues et qui touchent beaucoup d’entre nous en fin de carrière, ce sont nos capacités à cotiser dans de bonnes conditions qui sont ainsi menacées. Aussi en défendant leurs droits en matière de retraites, ils défendent également, voir plus encore les nôtres. »

Didactix quitte Cégétix en lui souhaitant de pouvoir convaincre ses camarades et poursuit sa route. Passant aux abords de certaines maisons de quartier ou d’un parc où s’improvise une réunion, il entend des salariés fatigués dire « On cotisera plus longtemps le jour où les rentiers, ceux qui naissent retraités cotiseront un tant soit peu ».

Il voit même certains d’entre eux, au détour d'une rue, commencer à fabriquer des banderoles en vue des futures manifestations. Parmi celles-ci, il y en a une qui attire son attention par son originalité. Des salariés du textile, d’origine chinoise, ont fabriqué une banderole en forme de dragon avec des slogans inscrits sur le flanc de la bête en papier. Un dragon-rouge pour lequel ils improvisent une danse sociale…

mercredi 19 novembre 2008

CHAPITRE 3 MOBILISATIONS (3/4)



Un peu plus loin, voilà que Didactix croise deux vieilles connaissances, Péhèmix et bétépix qui fument une cigarette d’un air détaché, à l’extérieur du pavillon où se tient la réunion de leur fraternité patronale.

« Ben, en voilà des drôles de têtes. Que faites-vous dehors les gars ? » demande Didactix.

« Nous attendons notre tour, cher camarade » répondent en chœur les deux compères, avant de se voir demander par Didactix « pourquoi ne pas attendre à l’intérieur ? »

« Afin d’éviter l’agacement par Lugh ! Tu sais bien comment ça fonctionne dans notre maison des petits patrons » souligne Bétépix.

« À vrai dire, pas vraiment » leur signifie Didactix interrogatif.

« Comment t’expliquer », dit Péhèmix, tout en écrasant sa cigarette. « Voilà ! Lors de nos réunions, chaque groupe prend la parole tour à tour selon un ordre préétabli, le notre intervenant en tout dernier lieu ». Puis il explique ce qui suit.

Le premier groupe conduit par Capitalrix est constitué de faux petits patrons puisque leurs petites entreprises appartiennent à des grands groupes. Ils représentent l’un des nouveaux visages de ceux qui sont au sommet de la chaîne alimentaire économique. Capitalrix affirmera que toutes les entreprises, quelles que soient leur taille, ont les mêmes intérêts, que les grandes entreprises ne sont pas les adversaires des petites mais des alliés face à la mondialisation, que ces grands groupes bien que représentant moins de 10% des entreprises produisent plus de la moitié de la valeur ajoutée et leur fournissent bien du travail. Par conséquent ces grands groupes doivent êtres écoutés quand ils expliquent que la mondialisation implique que les Etats fassent peser le coût de leur modèles sociaux sur les bénéficiaires, les seuls travailleurs. Des travailleurs qui doivent se débrouiller pour leur être utiles en tant que salariés, en forme, bien formés, compétents, efficients, sans que les grandes entreprises n’aient à participer par l’impôt à ce qui permet cela, et utiles en tant qu’enthousiastes consommateurs sans avoir à participer à ce qui permet cela également, que ce soit en termes de salaires ou de pensions. « Fabuleux non ?!? »

Le deuxième groupe est constitué par les poissons pilotes du premier. Indépendants mais coincés entre la concurrence exercée par les grands groupes à l’intérieur et celle des entreprises installées dans les paradis fiscaux et autres enfers sociaux, ils finissent par adhérer au message du premier. Certains étant même heureux de manger les miettes coincées entre les dents des prédateurs économiques. « Nos charges, nos charges, nos gages » ! Et tant pis pour les salariés.

Manger pour vivre ou vivre pour manger, telle est l’une des questions posée par la mondialisation.

Puis il y a le groupe de ceux dont la devise est chacun pour soi. Artisans, chefs de micro-entreprises, ils estiment que tout le monde doit trimer autant qu’ils triment. Chacun sa vie, chacun son petit profit, chacun sa propre prévoyance et tant pis pour la cohésion de la nation.

« Enfin vient le tour de notre groupe », soupire Péhèmix.

Un groupe d’entrepreneurs estimant que la prospérité des uns participe à celle des autres, qui refuse de subir la pression de grands groupes, la pression de leurs intérêts financiers, d’où découlent sous-traitances en cascade, avec pour conséquence le fait que les risques soient finalement assumés par ceux qui se trouvent en bout de chaîne, pour le seul profit des requins de la finance. Une pression synonyme de faibles marges pour leurs petites entreprises, d’une moindre valeur ajoutée pour la nation, de salaires plus bas distribués à leurs salariés, d’une couverture-sociale quasi-absente pour eux-mêmes. Un groupe qui estime que le travail doit être bien plus récompensé que la spéculation et qui dénonce l’internationale des rentiers, qui de toute ethnie, de tous pays, s’entendent par-dessus leurs concitoyens pour défendre leurs seuls intérêts.

Un groupe qui tiendra un tout autre discours en assemblée. Il expliquera, entre autres, que dans une société apaisée et adulte, chacun doit accepter ses responsabilités. Les salariés se devant de reconnaître l’utilité des entreprises et la valeur des entrepreneurs en tant qu’agents économiques. Des entrepreneurs qui doivent assumer quant à eux leurs obligations sociales et fiscales.

« Un discours que tu devines difficilement convaincant surtout s’il vient après la longue série de litanies dites libéralistes », maugrée Bétépix.

« Je comprends », acquiesce Didactix, « c’est pas gagné !»

« C’est pas qu’on désespère car je suis certain qu’un jour, notre conception des choses apparaîtra comme évidente au plus grand nombre, mais en attendant c’est pas plus mal de s’en griller une petite à la fraîche » dit Péhèmix en reprenant une cigarette.

Soudain, un bruit sourd. « C’est quoi ça ! » s’exclame Didactix en se retournant.

« Oh, rien de grave. C’est Dogmatix qui comme d’habitude espionnait les discussions qui se tiennent dans notre maison et qui vient de tomber de son échelle sociale » sourit Bétépix.

« Oui, je vous espionnais et alors », leur sert un petit personnage hirsute portant des lunettes noires et une chemisette à l’effigie du Che. « De toute façon, vous les patrons, on ne peut pas vous faire confiance, toujours prêts que vous êtes à comploter contre les travailleurs. Mais cela changera un jour. Par la revanche de la classe prolétaire, nous renverserons votre dictature infâme ! »

« Oui, je sais, Dogmatix, pour installer la vôtre de dictature, bien réelle cette fois-ci », répond Péhèmix froidement. « On connaît la chanson camarade. Il faudra juste que tu expliques un peu mieux aux gens comment tu réussis à décréter que les patrons ne sont pas des travailleurs, à décréter que je ne travaille pas, comment dans une société ouverte et libérale comme la nôtre, contrairement aux sociétés de castes de type ancien-regime, tu peux continuer à délirer sur la lutte des classes. Que je sache, il t’est possible de devenir fonctionnaire, où la notion d’exploiteur-exploité est toute relative, artisan, profession libérale ou que sais-je encore de totalement libre ou inexploité. Tu peux même devenir patron hyper-sympa, dirigeant d’une coopérative ou cogestionnaire d’une entreprise collectiviste si cela te chante. Que nous n’ayons pas toujours les mêmes intérêts soit, que des gens se regroupent pour défendre des intérêts communs re-soit, mais de là à décréter la guerre permanente me pousse à te conseiller de passer du café à la tisane mon pote. »

« Ben, oui tiens, et si tu remplaçais le drapeau rouge par le thé de même couleur. Il paraît que c’est plein d’antioxydants. Ça te fera un substitut utile à tes drogues anti-occident, non ? », complète Bétépix.

« Ça ne m’étonne pas de vous, bande d’exploiteurs. Nier le pouvoir que vous avez sur vos salariés, c’est tout vous ça ! » répond Dogmatix.

« Un pouvoir, un pouvoir, faut voir ? Car dans une République, sociale y compris, comme la nôtre, on a surtout des obligations et des responsabilités. T’oublies bien vite que notre pouvoir de direction est tempéré par un Code du Travail tout sauf laconique. Un ensemble de lois que je ne rejette pas, mais que je semble à l’inverse de toi, intégrer dans ma réalité. Car vois-tu, mon cher Dogmatix, contrairement à toi, je ne nie ni la réalité, ni mes droits, ni mes devoirs et surtout pas mes responsabilités. Dis-moi déjà, mon petit Dogmatix, quelles responsabilités assumes-tu déjà ? Ne fronce pas le front à ce point, tu vas te claquer un anévrisme. Et oui, mon gars, surtout n’hésite pas à créer ton entreprise histoire de voir ce que ça fait… C’est ça, tourne-nous le dos, va bouder et n’hésite pas à retomber de ton échelle le jour où t’auras autre chose que des malédictions et autres prières marxistes à nous opposer… Il commence à m’énerver celui-là aussi », conclut Péhèmix agacé.

« Eh ben ! il est plutôt rigolo votre petit camarade », s’esclaffe Didactix, en faisant remarquer, au passage, que la porte du pavillon vient de s’ouvrir sur un personnage qui semble les appeler. « Et oui, c’est notre tour d’intervenir » indique Bétépix d’un clin d’oeil. « Bonne chance » lance un Didactix en forme de salutation.

mardi 18 novembre 2008

CHAPITRE 2 MOBILISATIONS (4/4)



Le père de Syndicaline ouvre la porte et indique à Didactix que celle-ci s’amuse dans la cave avec quelques vieilles machines qu’il avait racheté, une fois à la retraite, lors du démantèlement de l’usine dans laquelle il avait travaillé une bonne partie de sa vie. Des machines que Syndicaline adorait tripatouiller quand gamine, il lui arrivait de retrouver son père, après sa journée de travail.

Une fois descendu l’escalier métallique qui mène à la cave, et qui semble avoir été récupéré, lui aussi, dans l’usine défunte, il y trouve Syndicaline occupée à usiner des petites plaques en acier. Une petite pile étant déposée à ses pieds. « Qu’est-ce que tu fabriques alors que tout le village s’agite dans tous les sens ? ».

« Justement un besoin de calme. À vrai dire, je ne sais pas trop. Une impulsion subite m’a fait fabriquer ces petites plaques métalliques où j’y ai gravé des slogans sociaux. Avec l’aide de Constitutionnix, je compte en faire des armes de jet magiques, au cas où, comme dans le dessin animé Catseyes, que j’adorais quand j’étais gamine. »

« Décidément tu seras toujours une originale. Allez, viens, puisqu’en parlant de Constitutionnix, celui-ci nous attend ».

S’enfonçant dans le parc, où Constitutionnix lui a indiqué qu’il s’y recueillerait, Didactix et Syndicaline tombent sur un kiosque à musique où semble se terminer une réunion d’intermittents du spectacle. L’ambiance a l’air houleuse.

La réunion s’est effectivement mal passée puisque après avoir reconnu Staracademix, celui-ci leur raconte qu’il y a eu un clash. Une partie des artistes accusait une autre d’avoir saboté le système de l’intermittence en le rendant illégitime par son parasitage alors que tout un tas d’artistes en ont vraiment besoin. D’avoir saboté le système avec des maisons de productions qui ont fait d’énormes bénéfices en se servant de façon totalement scandaleuse de ce système de chômage. L’intermittence ayant servi, entre autres, à rémunérer des congés payés et des périodes de travail dites « de préparation », que ces maisons de production auraient dû prendre en charge. Un appât du gain et une irresponsabilité qui a parasité puis fini par détruire un juste système de solidarité.

Un clash qui ne s’est pas terminé par des chansons douces mais plutôt par des noms d’oiseaux sur des airs de gansta-rap. Chaque groupe partant de son côté. Du coup, voici les plus fragiles d’entre eux à la merci du Baron Wendelium qui leur chante « vous avez chanté tout l’été…eh bien ! Dansez maintenant ! »

« Nous qui vivions chichement mais heureux, en proposant nos macarons d’amour, deux tranches de voix, une tranche de cœur, nous voilà trahis par ceux qu’on croyait des nôtres et poursuivis par les sbires de l’Empire de Com. Il ne nous reste plus qu’à reprendre la route, histoire de faire contre mauvaise fortune bon cœur » se lamentent Staracademix et son compère Chantecommuncoccyx avant de quitter Didactix et Syndicaline.

Un Didactix et une Syndicaline qui suivent de loin une autre partie de la Bande d’artistes. Bande qui semble se diriger tout comme eux vers le temple où médite Constitutionnix. Un temple situé en contrebas d’une petite butte, par le sommet de laquelle passe le sentier emprunté par nos amis et d’où ils assistent à l’un des rituels propres au village « Intérêt Général ».

La cime de cette petite butte offre en effet une vue parfaite sur la place centrale du village. Agora où siègent les divinités protectrices de celui-ci. Or à certaines occasions, il arrive que les habitants défilent collectivement devant les divinités Liberté, Egalité, Fraternité et déposent sur les autels de celles-ci, des offrandes que l’on appelle « Tax ». Les « Tax » étant des offrandes réellement magiques puisque ce sont les seules offrandes adressées à des divinités, dont on est sûr de revoir une bénédiction en retour. Des bénédictions en termes de biens publics, de services bien concrets et autres bienfaits solidaires.

La place est illuminée de mille torches portées par les habitants. Les statues et les temples sont éclairés d’éclats dorés. La musique semble rythmer les déplacements de la foule. Un bien beau spectacle qu’il leur faut quitter pour retrouver leur bon druide.

Un Constitutionnix qui a été rejoint par les confrères de Staracademix, qui les précédaient sur le sentier. Il s’agit de la troupe de Tanguix et ses 30 copains. Une joyeuse bande de grands enfants qui a déboulé dans le temple, fagotés de camisettes arborant des icônes protectrices telles que Actarus à bord de Goldorax, Capitaine Flaminus, Albatorix, avec des sucettes en bouche ou à la main, tout en chantant « ce matin, un lapin a tué un chasseur ; c’était un lapin qui ; c’était un lapin qui… »

Constitutionnix bien que préoccupé par la suite des événements, les accueille avec sa bonhomie habituelle. « Mes enfants, je vous vois de bien bonne humeur. Voilà quelque chose de fort agréable. »

Tanguix et ses amis voyant bien que le vieux druide est préoccupé, se proposent de le distraire un peu avec leurs chansons. Le vieux druide accepte, oubliant ses pensées et se laissant entraîner par leur bonne humeur.

Une fois le druide rendu joyeux, Tanguix et ses amis demandent au bon druide une histoire, en retour. « Quelle d’histoire souhaitez-vous entendre, mes enfants? »

« Oh, bon druide, s’il te plait, raconte-nous encore une fois l’histoire de notre déesse-mère, Belle France de la République. Après la discussion mouvementée que l’on a eu avec nos camarades, on ressent comme un besoin de retour aux fondamentaux. »

C’est à ce moment-là que Didactix et Syndicaline entrent dans le temple. Saluant leur druide d’un clin d’œil, ils s’assoyent avec les autres afin d’écouter cette histoire dont ils ne se lassent pas.

samedi 11 octobre 2008

CHAPITRE 3 « BELLE FRANCE DE LA REPUBLIQUE » (1/5)


« Puisque tel est votre souhait, je vais vous raconter l’histoire de notre mère sacrée », répond le druide, le regard brillant, tout en caressant sa longue barbe.

« Vous savez tous, que Belle France de la République est née dans des conditions difficiles. En des temps de pourpre, d’encens et de sang, son père, le dieu Fraternité, s’éprit de la déesse Raison. Ils devinrent très vite inséparables, attachés l’un à l’autre par les chaînes soyeuses de l’amour. Ils voletaient, dansaient continuellement. Au cours de leurs danses amoureuses et noosphériques, ils conçurent Belle France. Or le problème est que Raison travaillait énormément à cette époque. Elle passait beaucoup de temps sur les routes à éduquer les esprits. Cela lui valu bien des tracas et même quelques mésaventures stressantes pour une future jeune maman. Fraternité faisait tout son possible pour la soutenir mais lui aussi avait beaucoup à faire en cette époque. Tout cela eu des conséquences sur la grossesse. Les derniers mois furent très difficiles. D’autant plus que le bébé se présentait de façon inhabituelle. L’accouchement fut compliqué et douloureux. Les déesses Liberté et Egalité virent au secours de Raison mais rien n’y faisait. L’enfant ne parvenait pas à sortir. C’est alors en ce mois de juillet 1789, que l’on dut pratiquer une césarienne pour que Belle France voit le jour. Fraternité s'évanouit. Raison perdit beaucoup de sang. On eut peur de perdre la mère mais elle se rétablit peu à peu. Voilà pour sa naissance.

On aurait pu lui souhaiter une enfance plus reposante mais ce ne fut pas le cas. Belle France dû grandir dans le tumulte. Ses parents habitaient une copropriété divine qui portait le nom d’Europe de Vienne. A l’époque la mode chez les dieux était de vivre en collectivité dans des immeubles construit un peu rapidement. C’était un immeuble d’une vingtaine de logements séparés en deux ailes. Une aile Ouest et une aile Est. La qualité de la construction n’était pas géniale. Les cloisons étaient fines et fragiles et l’on entendait tout ce qui se passait chez les voisins. Or à cette époque, ça s’engueulait pas mal. Les temps étaient querelleurs et les crises fréquentes. Ainsi Belle France du grandir au milieu des cris de la collectivité. Elle en retira une tendance facile aux migraines ophtalmiques, la rendant un peu cyclothymique. Cependant, cela ne l’empêcha pas de devenir une belle enfant espiègle, curieuse et intelligente. Puis de devenir une belle jeune femme aux formes généreuses. Une jolie chevelure châtain lui courait sur le visage, soulignant son superbe regard brun.

Son cousin Germain, en pleine adolescence lui aussi, n’arrivait pas à décrocher ses yeux bleus des formes harmonieuses de sa cousine. Le désir brûlait son jeune esprit immature. Il tenta donc de séduire sa cousine. Par contre il le fit comme tous les adolescents mâles, même divins. Chaque fois qu’il la croisait dans les couloirs de l’immeuble, il lui tirait les cheveux. Belle France répondait en lui donnant des coups de pieds dans les tibias et en courant. Néanmoins elle n’était pas dupe. Elle était consciente de l’intérêt que lui portait son cousin. D’ailleurs elle n’était pas insensible à son charme. Pour Germain elle lui semblait complètement déconcertante. Un jour, elle lui souriait. Le suivant, elle le tançait du regard et se moquait de lui. Ce régime de douches calédoniennes (écossaises) finit par agacer et frustrer Germain.

Un soir, blessé et lassé de l’intempérance gallo-romaine de Belle France, Germain, entraîné par des copains fit le tour des bars divins, « Au Walhalla », « chez Ambroisie », « Hydromel Immortel », histoire de noyer son malheur dans le schnaps, entre autres. C’était un soir noir comme le charbon. Alors qu’il rentrait bien imbibé, il prit l’allée des Ardennes et passa ainsi sous la fenêtre de Belle France. Celle-ci n’ayant pas sommeil, regardait par la fenêtre les nouvelles étoiles éclairées au gaz cosmique. Elle était de bonne humeur et voyant son cousin, elle sortit à sa rencontre afin de le saluer. Germain, la voyant arrivé, fut surpris et recula d’un pas mal assuré comme s’il s’agissait d’une réaction instinctive devant cette image obsédante qui le rongeait.

Belle France, bien que joyeuse, remarqua très vite l’état lamentable dans lequel se trouvait son cousin et ne pu s’empêcher de le sermonner vertement. Les reproches de Belle France étaient la goutte de cervoise qui faisait déborder la corne à boissons. Ils résonnaient dans la tête de Germain comme des coups de canon, les questions de la Sainte Inquisition. Pris de folie, Germain se jeta de rage sur Belle France. Il la gifla et commençait à déchirer son chemisier. Belle France se débattait, lui demandant d’arrêter mais Germain n’entendait rien. En lui mordant le petit doigt, elle réussit à se dégager de ses griffes d’aigle. Germain se retrouva un long moment paralysé par la douleur de la morsure et surtout par l’image de sa cousine en larmes, la poitrine dénudée. Belle France pleurait de rage et lui criait « pourquoi as-tu fait ça ? Pourquoi ? » Elle le giflait, lui tambourinait le torse sans cesse.

Germain revint à lui. Il était en colère contre lui-même, culpabilisant, mais aussi contre cette déesse qui le rendait fou. Il finit par saisir le bras de Belle France qui tentait de le frapper encore une fois et la repoussa violemment, la projetant ainsi à terre. Puis avant même qu’elle n’atteigne le sol, il partit en courrant, pour la fuir. Belle France s’abattit lourdement sur le sol, le bas du dos heurtant un rocher. Elle saigna abondamment. C’est cette nuit là qu’elle perdit l’usage de ses reins.

vendredi 10 octobre 2008

CHAPITRE 3 « BELLE FRANCE DE LA REPUBLIQUE » (2/5)


Ce qu’ignoraient Germain et Belle France, c’est que la scène avait eu un témoin. Un témoins qui avait assisté à tout cela avec un mélange de sentiments. La peur qu’elle ressentît pour eux s’était mêlée à une sorte d’intérêt malsain et à un détachement mélancolique, souvent remarqué chez ce personnage. Il s’agissait de Jolie Princesse d’Avalon, très étrange, à ce que l’on dit. Chose qui lui viendrait de son ascendance. En effet, elle est l’un des rares dieux à avoir du sang elfique dans les veines, contrairement aux autres dieux habitant « Europe de Vienne » qui furent créés par l’être suprême à partir d’essences humaines. Différente des autres divinités, on la craignait ou on l’évitait dans l’immeuble, en même temps qu’on se surprenait à admirer cette beauté d’albâtre. Ce faisant elle se retrouvait ainsi condamnée à vivre sur une île affective, sans pouvoir toucher ni les côtes, ni les cœurs des autres divinités, assistant dans son coin aux amours naissants des autres dieux et au mûrissement des fruits de ces amours.

Bien évidemment, une telle malédiction ne pouvait que produire des frustrations et de la mélancolie. Ce à quoi s’ajoutait chez elle une certaine aigreur et des tentations perfides à l’encontre de ses voisins, aussi noble fut elle par ailleurs. Tout cela détermina, du coup, et alors qu’elle grandissait tout comme les autres jeunes divinités, deux de ses passe-temps préférés.

Tout d’abord voguer sur les océans à la recherche de côtes charnues à caresser et de divinités qui la comprendraient enfin. Ensuite à jouer de ses charmes étranges pour semer la zizanie dans l’immeuble, à chaque fois qu’elle revenait de voyage et s’ennuyait un peu.

C’est donc elle qui assista, à travers la fenêtre de sa chambre plongée dans l’obscurité, aux déchirures amoureuses entre Belle France et Germain. De quoi lui donner des idées.

Suite à cet épisode dramatique, les sentiments entre Belle France et Germain passèrent de l’amour névrosé à la haine avec l’attirance restant pour dénominateur commun entre ses deux sentiments.

Puis vint le temps des études. Germain partit dans une Académie militaire comme beaucoup de jeunes dieux de son époque. Belle France choisit quant à elle de faire des études d’ethnologie ethnocentriste, assez en vogue, aussi à l’époque. Aussi ils s’évitèrent pendant quelque temps.

A la fin de leurs études, ils revinrent dans l’immeuble familial. Jolie d’Avalon qui s’ennuyait ne trouva rien de mieux que d’organiser une petite soirée spéciale voisinage sur le thème du Maroc. Elle profitait de l’absence de tous les parents qui étaient partis faire de la randonnée pédestre chez oncle Zeus dans le mont Olympus. Tous les jeunes dieux acceptèrent. Rendez-vous fut donné ver 19 heures. Le point de rencontre était l’appartement de Jolie d’Avalon mais consigne était donnée de laisser toutes les portes d’appartement ouvertes histoire de pouvoir déambuler dans les couloirs et les appartements de tous les dieux Bien évidemment Belle France et Germainn qui ne s’étaient pas revus depuis longtemps, furent invités. Par conséquent ça na pas raté !

A 19 heures tout le monde était presque arrivé. Il ne manquait plus que Belle France. Elle arriva à 19H04 aux bras de Romain qui s’était laissé convaincre par elle de venir. Le sang de Germain qui méprisait Romain ne fit qu’un tour. Son humeur vira au très sombre. Le sang lui battait les tempes et les joues au point que les cicatrices de son visage, qu’il avait gagnées lors de duels de lames à l’académie, s’ouvrirent. Son visage se couvrit de sang bleu.

Romain se sentit gêné pendant que Belle France regardait Germain avec mépris. Le regard torve de Belle France cinglait le cœur de Germain. Jolie d’Avalon se délectait de ce spectacle tout en conservant le masque de l’indifférence. Germain ne tint pas longtemps. Il se rua sur le couple de circonstance, éjecta Romain d’un violent coup d’épaule et gifla Belle France tout en la traitant de « salope ! »

Celle-ci encaissa le coup sans broncher puis lui décocha un violent coup de pied retourné, sauté en pleine mâchoire qui envoya Germain s’étaler tête la première sur un beau canapé cuir fait par Weymar, un esprit au service des dieux. Le cuir se déchira. La stupeur fut générale. Belle France avait appris le Viet Vo Dao, un art martial, lors d’un voyage chez des divinités indochinoises. Germain sortait la tête du canapé le souffle coupé tout comme Belle France qui s’était froissé un muscle en donnant son coup de botte sécrète. Eh oui ! Même les dieux ont besoin de s’échauffer correctement avant un combat. Il était 19H29. Le tumulte de l’appartement avait gagné les couloirs de l’immeuble et Belle France ainsi que Germain retrouvaient leurs esprits.

Jolie d’Avalon se trouvait un peu gênée par cette situation hors de tout contrôle. Elle ne sauvait que faire. Le tumulte s’étendait de minute en minute.

Germain insultait à tout va, provoquait tout le monde en duel. Il entra dans une colère brune quand quelqu’un lui déchira sa jolie veste de chez Dantzig. Il ne savait qui avait osé lui déchirer son beau costume d’apparat. Il lui fallait du coup se défouler sur quelqu’un. Il trouva rapidement sa victime.

Benlevy, un grand esprit, serviteur de l’être suprême s’était gentiment proposé d’apporter de la musique et des spécialités orientales. Germain le voyant arrivé se déchaîna sur Benlevy, qu’il détestait pour ses qualités, sans que Benlevy n’ait eu le temps de comprendre ce qui lui arrivait.

Germain enchaîna les coups de titans entraînant Benlevy dans le couloir. Les coups étaient terribles. Ils résonnaient comme du cristal que l’on déchire. Personne n’osait s’interposer. Chacun cherchant plutôt à éviter les éclairs que Germain lançait tout autour de lui. Germain laissa Benlevy gisant dans le couloir, quasi anéanti.

Sa rage n’étant pas tarie, il retourna dans l’appartement de Jolie d’Avalon s’attaquer à tous en même temps. D’où pouvait provenir cette fureur démentielle. D’une main, il tenait Belle France par la gorge. L’autre main s’abattait sur tout le monde. Jolie d’Avalon couru alors vers la fenêtre et appela les voisins de l’immeuble d’en face à l’aide. Ceux-ci se réveillèrent et s’apprêtaient à intervenir.

Alors que les cris devenaient des rugissements et que les éclairs de Germain secouaient jusqu’aux fondations de l’immeuble, l’inattendu se produisit.

Tous les parents étaient partis chez oncle Zeus, sauf la grand-mère qui était restée alitée suite à une surprenante rougeole. Il s’agissait de grand-mère Parouskaya qui habitait l’aile Est de l’immeuble. Elle fut réveillée en plein sommeil réparateur par tout ce tumulte en même temps que se réveilla avec elle son caractère ursidé. Aussi elle partit rouge de colère, corriger tous ces jeunes dieux irrespectueux, après avoir pris son bon gros rouleau à pâtisserie.

Germain s’agitait encore comme un vilain diable. Le voyant, elle se rua sur lui et lui molli les genoux d’un bon coup de rouleau à pâtisserie. Les voisins des immeubles alentour arrivèrent eux aussi. Tous ensemble, ils calmèrent le Germain. Fin du drame.

jeudi 9 octobre 2008

CHAPITRE 3 « BELLE FRANCE DE LA REPUBLIQUE » (3/5)


S’en suivirent de grandes discussions afin de dénouer les malentendus et pacifier la situation. Des divinités guérisseuses soignèrent tout ce divin monde. L’une de ces divinités guérit même lors de cette occasion, grâce à une nouvelle technique, les reins meurtris de Belle France qui en récupéra l’usage.

Germain dessaoula peu à peu. Au fur et à mesure qu’il prenait conscience de ses actes, sa conscience protesta si fort qu’il faillit en être brisé de culpabilité. Il ne savait pas comment faire pour réparer tous les méfaits monstrueux qu’il avait causés. Ses yeux s’embuaient et on put le voir tomber soudain aux pieds de Belle France, lui implorer son pardon, lui dire qu’il l’aimait à en haïr tout le reste du monde, qu’il n’avait jamais voulu lui faire du mal. Germain pleurait. Belle France fondit elle aussi en larmes. Le médaillon protecteur qu’elle portait autour du cou, qui renfermait l’esprit de l’orgueil latin, s’ouvrit et laissa s’évanouir une petite nuée magique. Belle France s’avouait enfin les sentiments qu’elle avait pour Germain. Ils tombèrent l’un dans les bras de l’autre, se confondant en excuses et en baisers. Décidément, entre eux deux, c’est fusionnel.

Quelque temps plus tard, nos deux tourtereaux décidèrent de s’unir devant les aïeux du Panthéon indo-européen. Pour célébrer la noce, ils choisirent l’oncle Vulcain, le dieu du charbon et de l’acier. La cérémonie fut sobre mais émouvante.

Dans son coin, Jolie d’Avalon était heureuse que cela se finisse ainsi mais si elle vivait encore plus mal son isolement affectif. Elle n’avait même plus de nouveaux horizons marins à explorer afin de compenser un peu. Ce faisant, elle restait toute la journée enfermée dans son appartement. Elle s’occupait de moins en moins du peuple humain dont elle était l’esprit tutélaire. Elle laissait son jardin à l’abandon. Ses pommiers étaient beaucoup moins chargés en fruits goûteux. Elle restait là à observer l’amour fertile des autres divinités et surtout celui de Belle France et Germain. Des enfants issus de leur union s’incarnaient chez les deux peuples dont ils avaient la garde. C’est ainsi que l’aigreur reprit progressivement le contrôle de l’esprit de Jolie d’Avalon dans lequel s’esquissait déjà des stratagèmes de zizanie.

Fort heureusement cela n’échappa à aucun observateur attentif et surtout pas à nos deux amoureux. Alors qu’ils discutaient, après un moment intime, des événements passés, ils se demandèrent ce qu’ils allaient bien pouvoir faire de jolie d’Avalon. Il devait bien y avoir un dieu avec qui la caser. Elle était quand même loin d’être vilaine et il devait bien y avoir une solution à sa malédiction, se disaient Belle France et Germain. Nos deux complices se regardaient tout en réfléchissant à la question.

Soudain, un éclat coquin éclaira simultanément leurs deux regards. « Ça pourrait être sympa », se dirent-ils. Et ni une, ni deux, Belle France et Germain s’en allèrent voir Jolie d’Avalon pour lui proposer un plan à trois. Nos deux amants avaient déjà tout essayé en sexualité divine à deux et Belle France avouait avoir rêvé à plusieurs reprises qu’elle mordillait les petits seins durs de Joli d’Avalon. Elle imaginait l’odeur ambrée de son intimité. Germain, lui, s’avouait excité par cette beauté froide, par son port altier, une certaine fragilité, sa chevelure délicatement rousse et surtout sa peau étonnement blanche, un blanc fluorescent comme du lait de licorne. Il rêvait de la caresser longuement et de la dégeler sous les coups de boutoir.

Jolie d’Avalon resta bouche bée. Elle rougissait vivement à mesure que sa bouche se refermait. Elle ne su pas quoi répondre. Personne n’avait jamais osé l’aborder ainsi. Belle France ne lui laissa pas le temps de se perdre dans son trouble. Elle s’approcha d’elle, lui caressa le visage puis ses longs cheveux jusqu'aux seins sur lesquels elle s’attarda délicatement.

Jolie d’Avalon frissonna sans pouvoir se contrôler et se laissa entraîner dans son propre appartement par nos deux amoureux.

Mes enfants, la suite fut d’un rare torride. Je vous laisse d’ailleurs imaginer cette suite. Le ménage à trois se mit en place. On créa même un passage entre l’appartement de notre couple et celui de Jolie d’Avalon qui gagna en joie de vivre.

Néanmoins elle se savait inféconde. En l’état actuel des sciences supranaturelles et divines, elle ne peut pas avoir de descendance. Ceci explique que parfois encore, ses vieux démons la saisissent, et qu’elle offre alors à Belle France et à Germain de grandes crises de nerfs ou de jalousie. Toutefois notre couple s’y est habitué. Voilà mes enfants», conclut Constitutionnix.

« Houa ! Oh ! Quelle histoire ! » S’exclament Tanguix et ses amis. Merci beaucoup constitutionnix.

« Nous aimerions bien savoir comment tu peux être au courant de tout cela mais je suppose que tu ne diras rien à ce sujet » conclu Tanguix.

« Tout juste mon jeune ami ! » ponctue le druide.

mercredi 8 octobre 2008

CHAPITRE 3 « BELLE FRANCE DE LA REPUBLIQUE » (4/5)


Ils continuèrent après cela à discuter pendant un certain temps, jusqu’au moment où les sucettes et autres friandises leur vinrent à manquer. Ce fut le moment où ils retournèrent se coucher après avoir saluer respectueusement Constitutionnix.

Constitutionnix décide lui de rester encore quelques instants tout seul, pensant à la beauté de Belle France de la république.

Puis il se retire pour tenter de dormir un peu. Un échec. Pas moyen de se débarrasser de cette boule au ventre qui le tenaille. Rien n’y fait. Il sent des mauvaises ondes en trop grand nombre. Il sent les forces de Dark Speculator grandir et ses armées gronder dans les entrailles boueuses des terres du fief du Baron Wendelium.

Il a raison car la tourbe froide du côté d’Argentocrate et de Devisesdurum va bientôt lâcher sa fureur. Vont-ils pouvoir y résister ?

Pendant la nuit, qu’il aura fort agitée, Constitutionnix connaîtra toutefois un court moment de bonheur. Dans un bref rêve, Belle France vient lui déposer un doux baiser sur le front, en lui disant que seul le voyage compte, de faire ce pour quoi nous somme faits et qu’il ne doit pas s’inquiéter pour le reste. Cette douce apparition calme un peu son sommeil turbulent, mais malheureusement ce n’est que trop peu. Ses entrailles se tordent et le brûlent. Il n’est pas le seul.

Pendant cette nuit, Staracademix fait lui aussi trois rêves étranges.

Il rêve d’abord d’un plateau parsemé de monticules de pierres, des gros et des petits. Des gens vont et viennent prenant des pierres dans les petits monticules pour les placer sur les gros tas de pierres.

Il rêve ensuite d’une plaine parsemée de tertres aux reflets dorés. Ces tertres se transforment en tas de fumiers nauséabonds et purulents où se mettent à pousser subitement de magnifiques fleurs.

Il rêve enfin d’une vaste prairie ensemencée de blé. De superbes gerbes en sortent et grandissent jusqu’à ce qu’une nuée de criquets s’abattent dessus. Alors qu’ils ravagent les champs de blé, de grands et majestueux corbeaux blancs fondent sur les criquets et les dévorèrent tous.

Staracademix se réveillera en sursaut à la fin du troisième rêve pour ne plus fermer œil de la nuit tant il cherchera une explication à ses songes.

La nuit se passe ainsi. Au matin, le Soleil réussit péniblement à déchirer les coutures de l’horizon. Accompagnant du regard ce geste solaire, Constitutionnix sent se rependre, de derrière le rideau nocturne, des vibrations maléfiques. Des vibrations qu’il reconnaît très vite. « Non, pas elle ! » s’écrie-t-il.

BadBercix le Grix, sûr de lui et sans même attendre la bataille, vient de sortir de sa Manche, nom que porte son chaudron magique, un joker supplémentaire. À l’évidence, il s’est allié avec la très vilaine sorcière aux tâches de roussi sur la figure. Il s’est allié avec Thatcheria la Vilaine, fille de Mordred le Grizoux, le mauvais esprit de la Tourbe des brumes.

Constitutionnix comprend maintenant le malaise de la nuit passée. Son corps avait voulu le prévenir de cette redoutable présence. C’est que Tatcheria la Vilaine a déjà de grands passifs à son actif. Elle a semé la calamité dans les terres de brume. Telle une vulgaire sauterelle, Tatcheria la Vilaine a ravagé les pommiers du joli jardin de la princesse Avalon.

Contitutionnix voit la scène comme s’il y était. Thatcheria la Vilaine s’approche de BadBercix en psalmodiant de sa voix de vieille sorcière, les yeux exorbités, sa vieille rengaine « brisez-les, cassez-les ! Cassez-les, brisez-les ! Et laissez-les pourrir sur la grève ! »

Au même moment, à quelques lieues du village, dans une morne plaine jusque là joyeuse, retentit le son du cor de Monseigneur le Bossu du Poitou, ce qui alarme les vigies de notre bon village.

Des armées pleines de hargne, chauves et droites dans leurs bottes sortent du fort « Fondepensium » et s’avancent en ordre de bataille. Aux premiers postes se dressent leurs étendards. Deux d’entre eux impressionnent plus particulièrement nos amis, partis en reconnaissance avec les vigies du village.

Celui de Monseigneur le Bossu « d’azur bretessé au Blinky de gueules » (bleu maison, crénelé sur les bords, décoré d’un vilain fantôme-pacman rouge).

Celui du Baron Wendelium stupéfie Constitutionnix. A l’évidence, le Baron a réussi son pari. Aux premiers postes s’élève en effet l’étendard « de gueules à trois marteaux d’or » (trois marteaux d’or sur fond rouge). Ni plus, ni moins que l’étendard maléfique fabriqué par les filles des forges. Un fléau d’armes horrifique qui ne demandait qu’à être réveillé et qui demande maintenant à boire du sang vigoureux et pas trop cholestérolique de travailleur.

L’étendard maléfique, Thatcheria, Televisium occupé, cela fait décidemment beaucoup trop. Par-dessus tout ça, le village qui se trouve désormais cerné, isolé, et Constitutionnix qui n’a plus tous les ingrédients nécessaires pour préparer la potion magique. Une catastrophe. Sans oublier que ses pouvoirs magiques sont encore bien trop diminués pour tenter quelque chose. Il culpabilise...

lundi 6 octobre 2008

CHAPITRE 3 « BELLE FRANCE DE LA REPUBLIQUE » (5/5)


Didactix, sentant l’état de son vieil ami, lui demande, histoire de lui occuper l’esprit, de leur confectionner un bel étendard magique pour eux aussi. Par chance, cette idée plait à Constitutionnix. Il se sent de nouveau utile. Ils rentrent alors au village et Constitutionnix se met en quête des ingrédients nécessaires pour concrétiser son idée.

Pendant ce temps Syndicaline et Didactix décrivent la situation de crise à tous leurs camarades. Suite à quoi, on s’active avant de se retrouver autour de notre bon druide pour assister à la naissance de l’étendard magique.

En guise d’ingrédients, Constitutionnix demande à Germinalix de lui procurer du charbon sacré de l’Est, du charbon ayant reçu les pleurs et le sang des mineurs. Se sera chose faite. Il demande à Métalurgix de lui fournir une serpe en inox et un flacon d’essences de sueur ouvrière. Ce sera chose faite. Agricultrix ayant toujours avec lui des amphores remplies de terre bénite, de la bonne terre rousse des champs Parisii, il lui en offre une pleine amphore. Plus que le lin sacré tissé par les petites mains des fées de la grande forêt et presque tous les ingrédients de l’étendard magique seront réunis.

Malheureusement personne dans l’assemblée ne dispose de lin sacré. Malheur ! Il manque l’ingrédient essentiel, le tissu vivant pour l’étendard. Comment s’en procurer ?

Constitutionnix cherche une solution. La foule fait de même. Mais le temps passe sans qu’aucune solution n’apparaisse. Alors que le feu sous le chaudron magique s’affaiblit et que le regard de Constitutionnix s’assombrit, voici qu’à l’une des extrémités de l’assemblée, on s’agite.

Constitutionnix, Syndicaline, Didactix et d’autres camarades tournent leurs yeux vers le lieu d’où provient le tumulte. Mais ils ne distinguent que les premiers rangs d’une foule impatiente. Cependant l’agitation se rapproche. Ils distinguent maintenant comme un frémissement au-dessus des têtes. Oui l’agitation se rapproche.

Soudain, nos amis doivent baisser les yeux. Un puissant halo de lumière enveloppe les premier rangs. La foule s’ouvre alors pour laisser passer comme une nuée de lumière floconneuse. Après que les yeux se soient habitués, ils peuvent voir qu’une colonne composée d’une centaine d’infirmières se trouve là, devant eux. Elles portent sur elles des blouses tissées avec du lin sacré.

Didactix reconnaît Blousedhermine, une amie d’enfance, qui dirige la colonne avec trois de ses copines, blousecoquine et Blousalbine. Sans mot dire, elles s’approchent du druide et dignement otent leurs blouses. Nues, elles tendent leurs habits sacrés à Constitutionnix. Ce qu’elle peuvent être sublimes, posant ainsi. De dignes filles de Belle France de la République. Même sans blouses, les nuées de lumière les enveloppent encore.

La foule est totalement hypnotisée, subjuguée par ce spectacle comme si elle etait le témoin d’un mystère osirien, d’une cérémonie réservée à de très hauts initiés. Didactix émerge le premier de cette stupeur collective. Il lance alors à l’assemblée un vibrant ; « camarades ! Haïe d’honneur ! Bas les yeux ! Un genou à terre ! »

La foule s’exécute respectueusement comme Moïse devant le buisson ardent. La colonne d’infirmières repart ainsi, sans mot dire, le port altier, drapée dans la même lumière qui les avait accompagné à l’aller, dans le seul bruissement délicat de leur pas caressant le sol et de leurs cuisses qui se frôlent.

Blousedhermine, Blousecoquine et Bloualbine ferment la marche comme elles l’ouvrirent. C’est alors que Didactix ne peut réprimer plus longtemps un bref regard sur ces buissons aussi ardents que sacrés. Nos trois vestales, non vierges, de Belle France le remarquent. Didactix s’attend à être transformé en statue de sel. Mais au lieu de ça, elles le saluent d’un sourire coquin accompagné d’un petit clin d’œil. Un frisson parcourt l’échine de Didactix, un frisson source de rougeurs et raideurs.

Constitutionnix prend enfin, tous les ingrédients et remercie humblement ses amis. Il les fusionne tous dans son chaudron magique. Après les incantations d’usage, sort du chaudron un bel étendard.

Chaque étendard magique naît comme un esprit dans l’univers des puissances divines. Il naît avec sa volonté propre, ou plutôt avec la volonté profonde de ceux qui l’ont désiré et avec des pouvoirs liés à sa personnalité.

Tout le village assiste à la naissance du bel étendard. Il nait du chaudron et en s’étirant révéle son visage. Tout le monde rit de bon cœur en le voyant. Tout le monde reconnait sa paternité et s’attache instantanément à lui. Il passe de bras en bras. On le caresse tendrement. On lui chante des chansons. C’est l’étendard « de sable au poing fermé et au majeur triomphant de gueules » (Un beau doigt d’honneur rouge sur fond noir).

Lignesix et Locomotrix se proposent de porter les premiers, dés cette journée, l’étendard du village au devant de Blinky. Après une journée de marche, ils arrivent sur le terrain des basses manœuvres de Monseigneur le Bossu, alors que le soir pointe son nez ivre à l’horizon.

Une fois face aux positions missionnaires de l’ennemi disposé en ailes écartées, ils hissent leur grand étendard. Celui-ci se gonfle du souffle du soleil couchant. Notre bel étendard s’emplit de vermeil ainsi que d’une fierté auréolée de gloire. L’étendard en bombant sa voile grandit de plusieurs mesures au point que nos amis commencent à plier sous sa stature.

En réponse, le Blinky de l’étendard adverse, portée par les avant-postes, montre ses crocs. Ses babines se crispent un temps puis tremblent. Il se trouve mis au majeur par notre étendard et cela la trouble. Le trouble l’emporte. Il se met à rire d’angoisse puis baisse la tête, en proie au doute. Les avant-postes voyant leur étendard la mine défaite perdent de leur superbe. Puis une rumeur se lève et se propage, telle une Ola, jusqu’au camp où se bâfre l’état major de Démagogix.

Au son de la rumeur, sans même comprendre ce qui se passe, l’état major frissonne de peur. Un doute les secoue. La fureur du couard les saisit. En bons couards, ils tremblent frénétiquement. Leurs couronnes dentaires éclatent sous les claquements de dents. Leurs implants capillaires tombent sous le stress. Leurs pacemakers jouent de la boite à rythme. Ils jouent le grand air de la « tachycardie. » Agrippés à leurs maroquins, ils attendent que le sortilège cesse…

jeudi 11 septembre 2008

CHAPITRE 4 « LES FILS DE LLOEGR » (1/5)


Thatcheria entre dans la pièce où se tient l’assemblée atteinte de tremblante. Elle y entre courbée tout en jetant un regard affligé sur cette assemblée. Elle a vite compris la situation, un peu comme si elle revivait un lointain souvenir. Se redressant, elle tend ses mains griffues vers eux, les caressant, les rassemblant dans l’ombre portée de ses serres de vieille corneille carnivore. Ouvrant son bec de collagène, elle s’adresse à Monseigneur le Bossu en des termes qui se veulent rassurants.

« Monseigneur, ne crains pas la rumeur populacière. Hisse donc tes drapeaux et abats ta colère sur la nuque de tous ces renégats. Je te le promets, écoute-moi ; la victoire est à toi si tu procèdes comme mes ancêtres, les fils de Lloegr (ancien nom donné aux tribus anglo-saxonnes avant de devenir les Anglais après la conquête de l’île des Bretons). »

Se dirigeant vers toute l’assemblée, d’un ton sec comme un claquement de bec elle leur dit : «Avez-vous déjà entendu le son des nobles noms de Henguist et Horsa, ces deux fiers rois, sortis de ventre de Lloegr ? Non ! Dans ce cas écoutez comment mes pères ont posé le joug sur le cou bovin des viles Kymri (Bretons) et de tous les autres ruminants de l’île de Bretagne. »

Les regards sont interrogateurs. Quel rapport peut-il bien exister entre la conquête de l’île de Bretagne par les Anglo-saxons et la réaction houleuse des habitants d’Intérêt Général au projet de reforme du système des retraites ? Thatcheria prend une chaise où elle s’assoit avant de déclamer ce qui suit.

« Il y a de ça quinze siècles, le pleutre Vortiguern, roi des Kymri, s’allia aux premiers Lloegriens qui débarquaient sur l’île de Bretagne afin de mener une guerre contre les Pictes (tribu d’Ecosse). Grâce à cette alliance, il gagna sa guerre avant d’en perdre une bien plus importante. En effet, en échange de son aide, le noble Henguist, roi lloegrien, obtint du pleutre Vortiguern, deux choses. Primo, un promontoire sur la côte Est de l’île où Henguist allait bientôt installer un fort imprenable qui lui servirait de tête de pont à ses projets d’invasion. Deusio, les services du plus grand artisan de l’île de Bretagne, ceux de Gwyar le mélancolique. Gwyar appartenant à Vortiguern, il le céda à Henguist qui connaissait la réputation de ce grand artisan, celle de celui qui était capable de donner vie à des armes magiques ou à des chaudrons enchantés. Tout en livrant Gwyar à son nouveau maître, Vortiguern expliqua à Henguist qu’il ne devait jamais offenser le plus grand des forgerons, ni le brusquer dans son ouvrage, faute de quoi il n’obtiendrait rien de bon de ce fier artisan.

Henguist suivit le conseil de Vortiguern. Toutefois Gwyar, qui se languissait de son clan, n’avait pas le cœur à l’ouvrage. Il fabriqua bien quelques magnifiques pièces, mais cela était loin de contenter Henguist. Celui-ci chercha alors un moyen de faire oublier à Gwyar le souvenir des siens et de son pays. Après y avoir réfléchi, il décida d’emmener Gwyar de l’autre coté de la mer, dans les terres de tourbe qui avaient vu naître les Lloegriens.

Là-bas, il lui fit construire une magnifique forge mais surtout il lui donna pour épouse l’une de ses cousines, Olga la rousse, l’une des plus belles femmes du clan. Il espérait ainsi distraire l’esprit mélancolique de Gwyar et lui faire oublier le destin des armes que le forgeron usinerait ; le massacre des siens. Un échec puisque les bras de Gwyar demeuraient lourds de nostalgie. Un échec jusqu’à ce que Olga la rousse lui donna un fils. Cet enfant le rendit plus leste mais pas assez au goût de Henguist. Gwyar passait en effet beaucoup de temps avec son fils, à qui il avait donné un prénom Kymri, Melgwin. Gwyar lui enseignait ce qu’il appelait les trésors de l’enfance, lui montrait les soi-disant joyaux de la vie, les secrets de la nature ; des fadaises de Kymri. En grandissant, Melgwin reçu surtout de son père son art, une chose qui plut à notre roi Henguist, à plus forte raison qu’il sentait également grandir dans le cœur de Melgwin quelque chose qui échappait à son père Breton, à savoir la force du sang lloegrien transmis par sa mère...

mercredi 10 septembre 2008

CHAPITRE 4 « LES FILS DE LLOEGR » (2/5)


Pendant que Melgwin grandissait, notre grand Henguist trouva la mort en Bretagne. Horsa, son fils, reprit alors le flambeau de la conquête de ce qui devait devenir notre île. Un flambeau que Horsa reprit avec plus de force encore que son père. Or pour ce faire, il lui fallait des armes à sa taille mais également à celle de ses fiers compagnons. Aussi, avant de partir vers l’île de Bretagne venger la mort de son père, Horsa exigea de Gwyar qu’il lui fournisse beaucoup plus d’armes. Il les voulait pour son retour afin de préparer la prochaine campagne. Gwyar n’en fit rien. À son retour de Bretagne, un juste courroux se réveilla dans le cœur d’Horsa. C’en était assez !

Sa tante Camilla, à la tresse dorée, remarquant son état lui offrit le conseil et la douceur de ses cuisses. Horsa apaisé conçut un beau projet. Il décida d’empoisonner cet inutile de Gwyar et de faire croire à son fils Melgwin que des druides kymri avaient traversé la mer pour tuer son père afin qu’il ne respecte pas sa parole.

Le trouble et la colère voilaient désormais le cœur du jeune Melgwin. Horsa put ainsi lui demander ce qu’il n’obtenait pas de Gwyar, et plus précisément sous la forme d’un défi que son sang lloegrien de quinze ans ne pouvait pas refuser.

En échange de 1000 épées invincibles qu’il devait produire en 20 ans, il lui promettait 100 vierges lloegriennes, aux grands yeux bleus et aux longs cheveux de soie.
Contre 20 chaudrons inépuisables, à produire en 10 ans, il recevrait le poids de toute sa famille en or.
Enfin, s’il lui fournissait 10 talismans d’invulnérabilité au cours de dix autres années, il pourrait choisir soit de gouverner avec Horsa le royaume de Bretagne soit 30 années de repos absolu, pendant lesquelles tous ses désirs ainsi que ceux de son clan seraient satisfaits. Par contre, il devait faire son choix avant de débuter son dernier travail.

Ainsi, Melgwin s’enferma nuit et jour dans l’atelier de son père, développant son art chaque jour un peu plus. Il produisit, au cours des deux décennies prévues, les 1000 épées aussi invincibles et mordantes que les dents d’un dragon. En récompense, il reçut les cent vierges promises. Les noces durèrent toute une année, année au cours de laquelle il put honorer ses épouses et se reposer de vingt années d’un bon labeur.

Puis il s’attela à son oeuvre suivante. Jour et nuit, il s’acharna à fabriquer les 20 chaudrons promis. Pendant ces dix années naquirent également et grandirent ses 100 enfants, 50 fils et 50 filles. Une bonne chose pour Melgwin et pour nous autres Lloegriens, car la mauvaise pour lui était que le jour où les 20 chaudrons furent livrés à notre roi Horsa, le corps de Melgwin craquelait déjà. Les faiblesses de ce qu’il y avait en lui de Kymri se révélaient. C’est ainsi que Melgwin choisit en échange du dernier travail, la fabrication des 10 talismans d’invincibilité, 30 ans de repos absolu.

Et pour exécuter son dernier travail, il décida de prendre avec lui, dans son atelier, ses 50 fils. Il leur enseigna son art et tous ensemble, ils tentèrent de fabriquer les 10 talismans d’invulnérabilité. Péniblement, à force de sorts, d’efforts et de sueur, ils les façonnèrent. Au bout des 10 années, les 50 fils de Melgwin sortirent de l’atelier, la face affreuse, certains d’entre eux portant à bouts de bras parfois brisés les précieux talismans. Melgwin venait quant à lui de périr, le marteau à la main. Ses fils, ridés, brisés, avaient vieilli de 50 ans, en dix ans de forge.

Le roi Horsa, à la longue barbe désormais, sourit en les voyant sortir. Il ordonna à cette occasion que les cinquante filles de Melgwin soient distribuées aux plus vaillants de ses guerriers. L’île de Bretagne serait bientôt conquise en même temps que se tarirait le sang de Gwyar, le plus grand artisan Kymri de tous les temps. »

mardi 9 septembre 2008

CHAPITRE 4 « LES FILS DE LLOEGR » (3/5)


Thatcheria termine ainsi cette histoire. Drôle d’histoire. L’assemblée émerge d’ailleurs du récit franchement hébétée. Girondix, dit Monseigneur le Bossu, regarde même Thatcheria avec un air tout penaud. Après un long silence, n’en pouvant plus, il lui demande la morale de l’histoire.

« J’en étais sûre » dit-elle tout en le cinglant d’un éclair rétinien on ne peut plus méprisant. Puis se calmant, elle lui assène, «si tu veux faire produire, si tu veux l’or qui transpire du sang et de la sueur des gueux, mets-y trouble et colère et promets-leur l’or et le repos qu’ils n’auront jamais. Il y a cent ans, cette histoire était encore connue. Alors que la canaille réclamait de l’or et du repos, on le lui promit à 65 ans. C’est ainsi que la canaille marcha au pas sans comprendre que peu d’entre eux vivraient jusqu’à cet âge. Maintenant qu’ils vivent assez pour prendre notre or et notre temps, mettons le trouble dans leur cœur, divisons-les, montons la barre plus haut pour qu’ils n’aient pas le temps de profiter de nos trésors. »

Monseigneur, tout fier d’avoir enfin compris, à l’inverse de ses collaborateurs dont l’air niais persiste encore, se redresse et lance à son Etat major, « Tout le monde au travail ! Rhétorix, préparez-moi donc une bonne glue verbale, de celles qui nous permettront d’endormir l’opinion ! Que tout le monde soit prêt à attaquer ! Que les diffuseurs du bourg Televisium se tiennent parés à lancer les obus de glue verbale dés qu’elle sera prête ! Au travail Rhétorix et Directeurdecabinex ! Au travail, nom de Dieu ! »

« Au travail », facile à dire. Rhétorix et Directeurdecabinex n’avaient pas la moindre idée de ce qu’ils devaient faire. Pour tout dire, ils tremblotaient encore un peu rien qu’en pensant aux ondes dégagées par l’étendard du village Intérêt Général et à la réaction apeurée de leur totem Blinky.

Prenant les choses en main, Vendesassurancestoutrix se lève et lance en direction de Girondix le bossu, « Monseigneur, vos collaborateurs font preuve d’une attrition intolérable. Vous ne pouvez tolérer une attitude aussi déceptive. Laissez-moi faire. Mes hommes sont beaucoup plus pushy. Ce sont des HP (High potentials) dotés de KFS (Key factors of Succes). Je suis certain qu’avec mon équipe nous conceptualiserons une idée impactante qui scotchera le camp adverse. Confiez-moi cette mission et sous peu vous aurez de quoi répondre à l’attaque des vilains du village. Promis, je vous contacte ASAP (As Soon As Possible) ».

Rhétorix, Directeurdecabinex et les autres restent bouches bées devant autant de talent. Il est vrai que Vendesassurancestoutrix passe pour être l’un des officiers les plus brillants de Girondix. Sorti des bancs d’élevage ostréicole des écoles de COM, on le disait particulièrement intelligent. D’aucuns prétendant même que cette tête de Com serait capable de réfléchir sans bouger les lèvres.

Monseigneur accepte la proposition de Vendesassurancestoutrix mais souligne toutefois que la réalisation de cette mission est TTU (Très très Urgente). Vendesassurancestourix répond avec un sourire commercial, accompagné d’un : « Promis Monseigneur ! dès qu’esquissée, je vous transmets un pitch (bref énoncé) du projet, puis je vous forwarde notre Reco (recommandation) complète. A ce moment-là, on tache de se voir en one-to-one (seul à seul) afin de peaufiner le tout ». Vendesassurancestoutrix se lève et part sur le champ.

48 heures s’ensuivent pendant lesquelles les deux étendards se font face. 48 heures à l’issue desquelles le fauve commercial atteint ses zobjes (objectifs).

S’inspirant de l’histoire de Thatcheria et avec l’aide de ses High Potes (Variante française de HP), principalement Mademoiselle Vaseline, une copine commerciale travaillant pour un grand groupe pharmaceutique, Vendesassurancestoutrix fait mettre au point une nouvelle drogue commerciale. Le Win-Win. En fait le Win-Win (gagnant-gagnant) donne toujours le sentiment d’être gagnant même lorsque la défaite est cuisante. Il s’agit d’un opium commercial agissant puissamment sur le système endocrinien. Une fois absorbée, le sujet contaminé sécrète des endorphines en masse, ce qui le met dans un état commercialement euphorique. Il est prêt à tout entendre, tout admettre et tout signer. Une bonne glue verbale aussi efficace avec le client, l’opinion, que les « partenaires » sociaux.

dimanche 7 septembre 2008

CHAPITRE 4 « LES FILS DE LLOEGR » (4/5)


Monseigneur est satisfait. Il est certain de tenir dans cette super-glue verbale l’arme secrète qui mollira la combativité des gardiens du village Intérêt Général, et qui fixera aussi toute éventuelle opposition dans le pays. « C’est Démagogix mon maître qui sera content de le savoir » conclue-t-il. Tout en félicitant Vendesassurancestoutrix, il ordonne que ses bataillons se tiennent prêts à procéder à un premier test dès que les quantités suffisantes de win-win seront livrées. Ce n’est l’affaire que de quelques jours.

Enfin, tout est paré. Monseigneur est impatient. Il a ordonné que le premier bombardement de win-win ait lieu par voie aérienne depuis le village de Télévisium. Donnant le signal à l’heure du souper, le win-win se diffuse sur les ondes. Une étrange nuée se lève et répand un souffle sonore jusqu’alors inédit. Les retraités, les fonctionnaires-serviteurs du pays et d’autres salariés sont assimilés à des nantis, à des rentiers. Par ailleurs, ce souffle étrange annonce la distribution de puissants paradis fiscaux artificiels. Un nouvel opium du peuple pour le plus grand bénéfice des plus riches, des véritables nantis ou rentiers.

Cela fonctionne à merveille. Les endorphines sécrétées endorment les neurones calculateurs de la population dés cette nuit-là. Un lourd sommeil hypnotique s’abat sur les enfants de Belle France. L’opinion, shootée à la glue verbale, se trouve scotchée.

Nous voilà le lendemain matin. Vendesassurancetoutrix débute sa journée par un jogging. Le seul moment de la journée où il transpire, où cette sueur lui donne l’apparence du travailleur. Le rythme de sa foulée suit celui de sa joie. Il sait que les dégâts provoqués par son Win-win ont dû être considérables. Pour l’occasion, il a d’ailleurs enfilé son plus beau survêtement, celui du dimanche, un survêtement jaune or où figure son animal totémique ; un grand caïman. Mais Alphapage, son corbeau messager, l’interrompt dans son effort. Alphapage lui apporte une convocation de Monseigneur Girondix, le mandant plus tôt que prévu.

Les résultats du bombardement de la veille sont en effet plus qu’excellents. Constatant cela, l’état-major de Monseigneur Girondix le Bossu fait éclater sa joie et laisse libre cours à son humeur belliqueuse. « Attaquons sans attendre l’avant poste d’Intérêt Général et ce maudit étendard qui nous a déjà trop nargué » lance Vendesassurancestoutrix. « Oui », poursuit Rhétorix, « n’attendons pas qu’ils réfléchissent à une riposte suite au bombardement d’hier ; nos rapports font état d’une vive agitation dans le village depuis hier soir ».

« Vous avez raison mes enfants », lance Monseigneur en souriant, « rassemblons toutes nos forces dés demain matin sur la plaine qui fait face à ce stupide étendard que nous allons détruire sans plus attendre ». Chacun quitte la salle impatient d’en découdre et chargé de sa part des préparatifs.

Le soleil se lève. Vendesassurancetoutrix est l’un des tout premiers sur le futur champ de bataille. Il y est rejoint un à un par ses amis et les autres membres de l’unité de cavalerie dont il est le commandant. À commencer par Poujadix qui arrive flanqué de son animal de compagnie. Un perdreau au regard niais perché sur son épaule gauche, prénommé « Jean-Pierre » et bagué avec le symbole de son maître, les trois lettre « cçc ».
Puis par Cadremoyenaigrix qui arrive très aigri. Cette bataille l’empêche de partir en RTT, ces RTT dont il déteste le principe mais qu’il apprécie tant quand même.
Arrivent enfin, entre autres, les chevaliers Frontoffix le trader, Centurix XXI, Vediorbix aux grands crocs, Pharmaceutix l’apothicaire, Nicotix le buralix, tous vêtus de leur armure trois pièces plaquées or, dures comme leurs cœurs, légères comme leurs cervelles, et portant par également autour du cou, une sorte de torque (collier gaulois) souple, doré, descendant sur leur poitrail. Un torcravatte symbolisant le lien qui les relie à leur seigneur ; une laisse magique.

Les voilà positionnés par leur Commandant sur le flanc droit, attendant qu’on la lâche sur l’adversaire.

Au centre, la piétaille trépigne elle aussi sur place. Gavée de win-win mais également d’une autre drogue déjà plus ancienne, le sondage-d’opinium, cette masse attend qu’on lui permette d’insulter, de vilipender et de cracher sur tous ceux qu’on lui présente comme l’ennemi.

Surplombant la plaine où se trouve cette armée, un promontoire. Démagogix qui a quitté son repère pour assister à cette bataille s’y avance à pas de sénateur. Il marche accompagné du baron Ernestum Wendelium et de Girondix le bossu, son général qui le supplie, « tâtez ma bosse ô mon maître, cela sera de bon aloi, nous portera chance ». Démagogix n’en a cure. Il préfère regarder à l’autre extrémité de la plaine l’étendard magique du village Intérêt Général, celui qui a tant fait frémir ses hommes et que portent encore depuis tout ce temps Lignesix et Locomotrix. Démagogix se fait songeur pendant que à la vue de l’étendard les visages de rouille de Monseigneur le bossu et de sa suite se ferment ou s’oxydent de colère. Thatcheria, qui les rejoint, remarquant cela, leur insuffle son souffle de forge. Sortant de dessous sa robe une lance magique, encore vibrante, elle la tend au bossu en lui disant, « tiens Monseigneur, voici ma lance reactium, je te la prête ; elle mènera ta colère et ta dérégulation… »

jeudi 4 septembre 2008

CHAPITRE 4 « LES FILS DE LLOEGR » (5/5)


Alors que Monseigneur saisit la lance volante de Thatcheria sous le regard circonspect de Démagogix, un puissant grondement retentit tel le tonnerre.

Locomotrix vient de faire sonner son cor magique, appelant tous les glorieux combattants du village Intérêt Général à rejoindre l’étendard et à se préparer au combat.

Les portes du village s’ouvrent alors, déversant dans la lande ses fiers habitants qui n’attendaient que le signal pour sortir. La récente attaque menée par le bossu avait en effet déjà sonné le tocsin. À cette occasion Staracademix avait proposé ses services, tenté de chanter « motivés, motivés », mais on lui avait dit que c’était inutile. Nul besoin de motivation supplémentaire. Car il est tout bonnement hors de question de subir, de se laisser insulter ou présenter comme des profiteurs par les serviteurs des Dark Speculator. Le son du cor est donc le signal de la contre-attaque.

Une grande partie du village accourt. Les chevaux les plus rapides portent les amis de Profsousprosax ; les cygnes les plus majestueux transportent Blousedhermine et ses amies ; les cerfs les plus puissants emmènent Métalurgix et ses camarades ; les rennes les plus vigoureux galopent guidant le peuple solidaire. Didactix et Syndicaline, le front brillant, courent devant tout ce monde. Ils courent si vite que leurs pas ne foulent ni les pierres, ni l’herbe, ni les fleurs. Deux nuées d'abeilles portent leurs foulées. Parmi les délégués du village, seul manque Démocratix le chef. Encore une fois personne ne sait où il s’est retiré pour réfléchir aux problèmes qui secouent Intérêt Général.

De leur côté, Girondix le bossu et son seigneur Démagogix, ressentent au loin la sourde rumeur qui se lève. Ils s’interrogent. Directeurdecabinex est immédiatement envoyé en mission de reconnaissance. Son destrier est rapide. Aussi l’attente est brève. Directeurdecabinex revient vers Girondix et Démagogix aussi angoissé que bouleversé. Pressé, Girondix lui demande ce qu’il a vu. Ses paroles semblent incohérentes.

« Mes oreilles ont ouï un grondement terrible comme si mille montagnes s’éventraient pour lâcher leur colère. J’ai cru voir une brume envahir l’horizon et cracher des flocons de neige comme si mille glaciers voulaient tout recouvrir d’un manteau de glace. Quand la brume se fit proche, j’y ai vu des milliers de lueurs briller comme s’il s’agissait des astres de la nuit ».

Le messager cesse son récit, les yeux hagards. Le visage de Démagogix, quant à lui, se ferme. Girondix remarquant le voile qui tombe, demande à son maître ce que ce récit signifie. Démagogix, courbé sur sa chaise installée au sommet du promontoire, lui répond que « La brume est la poussière que les habitants du village en marche soulèvent sur leurs pas. Les flocons de neige sont la blanche écume que bavent leurs chevaux. Ce qui brille, semblable aux astres de la nuit, c’est la flamme de leurs yeux ardents. »

Histoire de se donner une contenance, Girondix se permet alors un « peu m’importe leur poussière et leur flamme, ils en mangeront en entrée, plat, désert. Quant aux flammes, nous les éteindrons de nos crachats ».

Démagogix, cinglant lui rétorque « Imbécile, l’imprudence est la mère des défaites. Voyons plutôt comment empêcher l’incendie porté par cette rumeur de s’approcher ».

mardi 12 août 2008

CHAPITRE 5 « LA MARÉE, FLUX ET REFLUX » (1/5)


Brûlante, la rumeur s’approche pour finir par s’aligner derrière son étendard.

Syndicaline et Didactix, nos deux héros, accompagnés d’autres délégués d’Intérêt Général, s’avancent plus en avant afin de jauger les forces adverses. Dressée sur le promontoire, ils aperçoivent la tente de l’état major de Démagogix et de son général en chef, Girondix de la Bosse, assisté pour cette bataille du baron Wendelium. D’autres silhouettes enveloppées dans des capes sombres semblent flotter devant la tente. Sur la droite, ils distinguent nettement la cavalerie aux armures rutilantes qui brillent sous un soleil ascendant. Encore plus à droite, en partie cachés par un bosquet, Didactix croit discerner une autre unité d’assaut sans pour autant en être certain. À gauche, grâce au survol des cygnes de Blousedhermine, ils savent que derrière une butte, les bataillons de l’infanterie régulière se tiennent prêts à surgir si nécessaire.

Puis le regard de nos deux héros se pose sur les premières lignes centrales. Horreur ! Les yeux attristés, ils découvrent que la piétaille est constituée de tous les serfs que Girondix a réussis à hypnotiser. Enchaînés les uns aux autres, leurs yeux brillent d’un rouge fluorescent, l’un des effets du gavage au win-win. Le regard hargneux, ils vocifèrent en direction des habitants d’Intérêt Général qui s’alignent de part et d’autre de l’étendard.

Un malaise saisit progressivement Syndicaline et Didactix. Le trouble s’installe en eux, affaiblissant leur combativité. Ils se disent que pour atteindre la cavalerie et l’infanterie, ils vont devoir heurter la piétaille de Girondix, heurter et blesser peut-être leurs frères de sueur hypnotisés par les serviteurs de Dark Spéculator.

Constitutionnix vient d’arriver sur le champ de bataille. Sentant le trouble envahir le cœur de ses amis, il s’approche d’eux. Syndicaline et Didactix lui font part de leurs états d’âme. Constitutionnix leur répond que l’intérêt supérieur du combat doit l’emporter sur les conséquences à court terme. « L’essentiel est dans la justesse de l’acte du moment ; que vous accomplissiez ce que vous avez choisi d’être ». Mais rien n’y fait. Le cerveau peu serein, Didactix cherche d’autres solutions. Il veut aller aux devants de ses frères de sueur, leur expliquer, les convaincre.

Constitutionnix lui explique alors que cette armée de serfs enchaînés n’est pas en état d’entendre ses arguments. Le pouvoir hypnotique des armes mises au point par les serviteurs de Dark Spéculator est trop puissant. Cependant qu’il se rassure, le temps de leur libération viendra. Pour l’instant, seul importe que l’on puisse remporter cette bataille afin que l’œuvre de la déesse Solidarité ne soit pas sacrifiée, que la mémoire de justes conquêtes sociales perdurent, nourrissent l’espoir dans le cœur des hommes tout en donnant du sens à leur labeur.

Mais Constitutionnix ne parvient pas à extirper nos deux héros des méandres du doute dans lesquels leurs esprits sont enfermés. Il lève alors vers le ciel le bâton télescopique de druide qu’il gardait dans l’une de ses poches et qu’il vient de déployer. Un éclair se produit dans le ciel en même temps que son front s'illumine avec une intensité toute particulière. Des images mystérieuses s’y dessinent.

Étrange prodige. Syndicaline et Didactix peuvent voir sur cet écran de lumière des parterres de fleurs merveilleuses piétinées qui renaissent encore plus belles. Ils voient des rivières de sang couler des plaies de fiers guerriers puis rejaillir dans leur cœur pour faire battre leurs tempes. Mais aussi des armées entièrement avalées par le destin qui renaissent. Les dernières images sont moins optimistes. Ils voient pour finir le dieu Fraternité et la déesse Solidarité se faire avaler par l’esprit de Perfidie, leur souvenir s’effaçant alors des temples de la Mémoire.

lundi 11 août 2008

CHAPITRE 5 « LA MARÉE, FLUX ET REFLUX » (2/5)


Cette dernière image les fait se ressaisir. Ils comprennent que leur personne n’est pas plus importante ici que celle de leurs frères actuellement captifs de la glue verbale de Girondix. Seule prime l’intention, le sens individuel et collectif qui habite leur action. Aussi, ils retrouvent toute leur combativité. Et par conséquent, en ce dimanche du mois de mai, ils s'apprêtent à livrer bataille. Le cœur ardant, chacun rejoint son unité après avoir congédié le compagnon animal, renne, cheval, cygne ou autre qui l’avait porté jusqu’ici. Ce n’était pas leur bataille.

Parallèlement à la formation des bataillons, on indique à Locomotrix et Lignesix qu’ils peuvent enfin se reposer. Ce n’est que mérité. Ils ont courageusement tenu l’étendard et subit pendant plusieurs jours des salves nourries d’invectives. Mais s’ils sont effectivement fatigués, ils refusent d’abandonner le terrain. Dans un dernier effort, ils plantent profondément dans le sol le mat de l’étendard puis s’assoient avec quelques camarades autour, déterminés à monter la garde. Ce geste de fierté fera office de signal. Les bataillons d’Intérêt Général s’élancent, à commencer par celui où se trouve Syndicaline, Syndicalix, Cégétix, Synallagmatix, et qui forme le flanc gauche.

Syndicalix avait failli arriver en retard. De justesse, il avait rejoint sa copine Syndicaline enveloppé dans un épais nuage de fumée qui recouvrait son fameux char magique. Celui-là même qui redémarra en trombe à la seconde où Syndicalix en descendit. Syndicalix était arrivé tendu, tenant nerveusement un cigare à la main.
Synallagmatix, lui, arriva plus tôt et assez décontracté, son stylo magique à la main. Un beau stylo marqué du sceau des artisans du Mont Jaune.
Cégétix fidèle à lui-même ne se posait pas trop de questions. Il préférait comme d’habitude compter ses troupes ; un tic.
Après une dernière oeillade entre eux, ils se retournèrent vers leurs camarades puis portèrent leur regard droit devant eux. Unitairement, ils montèrent en première ligne puis se mirent à courir.

Aussi voici Syndicaline et ses camarades, Syndicalix à ses cotés, puis Cégetix à sa gauche et Synallagmatix à sa droite, encadrant leurs troupes, qui montent à l’assaut, tout droit sur le flanc gauche adverse, celui où se trouve l’infanterie régulière de Girondix.

Les centaines de mètres succèdent aux centaines de mètres. Ils peuvent apercevoir au loin l’infanterie adverse qui attend le choc de la mêlée. Ils se disent même qu’ils les feront reculer. C’est à ce moment-là qu’une chose étrange se produit. Le sol se dérobe sous leurs pieds. Ou plutôt pour un pas qu’ils font, la tourbe sombre et chaude les fait reculer de deux pas. Étrange diablerie. Qu’à cela ne tienne, ils courent de plus belle, finissant par échapper ainsi à ces sables roulants. Mais il leur reste, tout de même, pas mal de terrain à couvrir. Ils tiennent le rythme.

Ils tiennent ce rythme jusqu’à la diablerie suivante. Car soudain le sol se met à transpirer par tous ses pores. Une brume aigre les prend subitement à la gorge. On dirait que le souffle soufré d’un quelconque dragon prisonnier des entrailles de la terre cherche l’air pur afin de le vicier. Sans même avoir le temps de comprendre ce qui se passe, les yeux irrités, le souffle coupé, ils se cognent les uns contre les autres. Puis ce sont des crépitements qui se font entendre tout autour d’eux. Un crépitement qui devient vite un vacarme insupportable. On jurerait que le grésillement de milliers de radios, tels des frelons, s’acharnerent sur eux ; que des milliers de tubes cathodiques implosent tout autour d’eux.

Un phénomène qui n’est rien d’autre que le résultat d’une nouvelle attaque portée par les ondes que venait d’ordonner le général Girondix. Des milliers de missiles longue-portée, chargés en win-win et opinium, lancés depuis les batteries du bourg Télévisium, s’abattent en effet sur eux. Tout n’est que vacarme et brouillard.

Voyant cela les unités de Métallurgix et Carrosserix se portent à leur secours. Sans succès puisqu’ils se font piéger de la même façon. Car en plus des missiles d’opinium et de win-win, l’arti-raillerie de l’infanterie ennemie tonne furieusement. Des bordées d’injures de gros calibre les assaillaient.

« Les 35 heures c’est bon pour les fainéants ! » « Fonctionnaires, tire au flanc !» « Ouvriers mécréants ! » « Le travail des autres c’est ma santé ! »

Dans cet enfer, on réussit à réunir quelques hommes afin qu’ils partent vers les arrière-postes histoire de demander de l’aide. Sur le nombre de messagers envoyés, peu nombreux sont ceux qui réussissent à s’extirper de ce bourbier et à transmettre à Constitutionnix dans quel état se trouve le flanc gauche. Péhèmix et Bétépix y parviennent.

samedi 9 août 2008

CHAPITRE 5 « LA MARÉE, FLUX ET REFLUX » (3/5)


« Comment faire pour les sortir de ce mauvais pas ? » se demande le druide. Constitutionnix avait beau avoir récupéré quelques-uns de ses pouvoirs, il n’en demeurait pas moins trop faible pour résoudre seul cette délicate situation qu’il avait perçu depuis l’étendard avant même l’arrivée des messagers.

Afin de trouver une solution, il fait réunir autour de lui tous les bardes du village. Très vite, une idée émerge. Ils vont tenter de briser la rosserie par l’ironie. Pour cela, les bardes fabriqueront des saillies drolatiques. Pendant ce temps, Constitutionnix se chargera de préparer un ravitaillement énergétique destiné aux troupes présentes sur le front. Des chipolatax et des merguex rituelles, de la sangria mais aussi de la cervoise bénies par lui.

Les messagers quittent les arrières postes chargés de tout cela et d’une promesse d’intervention. Elle ne tarde pas. Les porteurs ont à peine le temps de regagner les avants postes qu’ils peuvent déjà entendre la première salve de ripostes.

Staracademix, chantecommuncoccyx et leurs autres camarades bardes, tous issus de l’ordre sacré des Victoires de la Musix, lancent des saillies qui résonnent ainsi : « Besoin de pain, envie d'un toit » « Le travail c’est la santé, ne rien faire c’est la conserver ! » « Tu mangeras du pain à la sueur de ton front, et bien va donc travailler, rentier ! » « Travailler pour les spéculateurs, c’est usiner le trépalium de ces gangsters !»

Avec cette salve, le bombardement ennemi cesse un moment et le rideau de brouillard se lève un peu.

Les bataillons du flanc gauche en sortent un peu hagards et cherchent leurs chefs du regard. Syndicaline, Syndicalix et Cégétix reprennent assez vite leurs esprits. Mais alors qu’ils s’apprêtent à signifier à leurs troupes la poursuite de l’assaut, ils se rendent compte que Synallagmatix n’est plus présent à leurs cotés. Celui-ci marche déjà bien au loin avec une partie de son unité de contestation, en direction du camp adverse, tous bras tendus tels des zombies. Le sévère bombardement de win-win avait fait son effet. Cédant à une fragilité congénitale, Synallagmatix s’en va signer un accord avec Girondix de la Bosse, faisant même de ce que l’adversaire avait prévu dés le début de lui octroyer, une brillante conquête.

Un tressaillement de doute et de colère saisit Cégétix, Syndicalix et Syndicaline. Mais ils reprennent sans plus attendre le raid en direction de l’infanterie ennemie. Malgré le brouillard qui règne encore sur la plaine, ils savent que celle-ci ne se trouve plus qu’à quelques centaines de mètres, séparée d’eux par une butte. Les voilà qui gravissent la colline, puis qui dévalent la pente, espérant surprendre l’infanterie de Girondix.

Mais de nouveau, un bruit angoissant stoppe net leur course à mi-pente. Un brouhaha d’un autre âge, venu de temps lugubres et inhumains, qui leur coupe les jambes et leur serre le cœur. Oui, la piétaille du bossu s’était déplacée. Une partie se trouve maintenant là, devant eux. Une foule immense qui avance doucement, tirant de lourdes chaînes en fonte plaquées or. Hypnotisés, enchaînés les uns aux autres, la fuite de ceux qui se réveilleraient est impossible. Constitutionnix avait raison. On ne peut rien pour eux.

Désarçonnés par cette image qu’ils n’avaient pas perçue aussi nettement avant l’assaut, ils restent paralysés. Si le doute avait taraudé Syndicaline avant l’offensive, il venait devant ce triste spectacle, d’avaler et de digérer toute sa combativité. Elle ne peut décidément pas marcher sur cette masse certes grommelante, mais familière, constituée de frères et de sœurs de sueur.

Monseigneur jubile. Sa piétaille vient de bloquer la charge du flanc gauche.