mardi 12 août 2008

CHAPITRE 5 « LA MARÉE, FLUX ET REFLUX » (1/5)


Brûlante, la rumeur s’approche pour finir par s’aligner derrière son étendard.

Syndicaline et Didactix, nos deux héros, accompagnés d’autres délégués d’Intérêt Général, s’avancent plus en avant afin de jauger les forces adverses. Dressée sur le promontoire, ils aperçoivent la tente de l’état major de Démagogix et de son général en chef, Girondix de la Bosse, assisté pour cette bataille du baron Wendelium. D’autres silhouettes enveloppées dans des capes sombres semblent flotter devant la tente. Sur la droite, ils distinguent nettement la cavalerie aux armures rutilantes qui brillent sous un soleil ascendant. Encore plus à droite, en partie cachés par un bosquet, Didactix croit discerner une autre unité d’assaut sans pour autant en être certain. À gauche, grâce au survol des cygnes de Blousedhermine, ils savent que derrière une butte, les bataillons de l’infanterie régulière se tiennent prêts à surgir si nécessaire.

Puis le regard de nos deux héros se pose sur les premières lignes centrales. Horreur ! Les yeux attristés, ils découvrent que la piétaille est constituée de tous les serfs que Girondix a réussis à hypnotiser. Enchaînés les uns aux autres, leurs yeux brillent d’un rouge fluorescent, l’un des effets du gavage au win-win. Le regard hargneux, ils vocifèrent en direction des habitants d’Intérêt Général qui s’alignent de part et d’autre de l’étendard.

Un malaise saisit progressivement Syndicaline et Didactix. Le trouble s’installe en eux, affaiblissant leur combativité. Ils se disent que pour atteindre la cavalerie et l’infanterie, ils vont devoir heurter la piétaille de Girondix, heurter et blesser peut-être leurs frères de sueur hypnotisés par les serviteurs de Dark Spéculator.

Constitutionnix vient d’arriver sur le champ de bataille. Sentant le trouble envahir le cœur de ses amis, il s’approche d’eux. Syndicaline et Didactix lui font part de leurs états d’âme. Constitutionnix leur répond que l’intérêt supérieur du combat doit l’emporter sur les conséquences à court terme. « L’essentiel est dans la justesse de l’acte du moment ; que vous accomplissiez ce que vous avez choisi d’être ». Mais rien n’y fait. Le cerveau peu serein, Didactix cherche d’autres solutions. Il veut aller aux devants de ses frères de sueur, leur expliquer, les convaincre.

Constitutionnix lui explique alors que cette armée de serfs enchaînés n’est pas en état d’entendre ses arguments. Le pouvoir hypnotique des armes mises au point par les serviteurs de Dark Spéculator est trop puissant. Cependant qu’il se rassure, le temps de leur libération viendra. Pour l’instant, seul importe que l’on puisse remporter cette bataille afin que l’œuvre de la déesse Solidarité ne soit pas sacrifiée, que la mémoire de justes conquêtes sociales perdurent, nourrissent l’espoir dans le cœur des hommes tout en donnant du sens à leur labeur.

Mais Constitutionnix ne parvient pas à extirper nos deux héros des méandres du doute dans lesquels leurs esprits sont enfermés. Il lève alors vers le ciel le bâton télescopique de druide qu’il gardait dans l’une de ses poches et qu’il vient de déployer. Un éclair se produit dans le ciel en même temps que son front s'illumine avec une intensité toute particulière. Des images mystérieuses s’y dessinent.

Étrange prodige. Syndicaline et Didactix peuvent voir sur cet écran de lumière des parterres de fleurs merveilleuses piétinées qui renaissent encore plus belles. Ils voient des rivières de sang couler des plaies de fiers guerriers puis rejaillir dans leur cœur pour faire battre leurs tempes. Mais aussi des armées entièrement avalées par le destin qui renaissent. Les dernières images sont moins optimistes. Ils voient pour finir le dieu Fraternité et la déesse Solidarité se faire avaler par l’esprit de Perfidie, leur souvenir s’effaçant alors des temples de la Mémoire.

lundi 11 août 2008

CHAPITRE 5 « LA MARÉE, FLUX ET REFLUX » (2/5)


Cette dernière image les fait se ressaisir. Ils comprennent que leur personne n’est pas plus importante ici que celle de leurs frères actuellement captifs de la glue verbale de Girondix. Seule prime l’intention, le sens individuel et collectif qui habite leur action. Aussi, ils retrouvent toute leur combativité. Et par conséquent, en ce dimanche du mois de mai, ils s'apprêtent à livrer bataille. Le cœur ardant, chacun rejoint son unité après avoir congédié le compagnon animal, renne, cheval, cygne ou autre qui l’avait porté jusqu’ici. Ce n’était pas leur bataille.

Parallèlement à la formation des bataillons, on indique à Locomotrix et Lignesix qu’ils peuvent enfin se reposer. Ce n’est que mérité. Ils ont courageusement tenu l’étendard et subit pendant plusieurs jours des salves nourries d’invectives. Mais s’ils sont effectivement fatigués, ils refusent d’abandonner le terrain. Dans un dernier effort, ils plantent profondément dans le sol le mat de l’étendard puis s’assoient avec quelques camarades autour, déterminés à monter la garde. Ce geste de fierté fera office de signal. Les bataillons d’Intérêt Général s’élancent, à commencer par celui où se trouve Syndicaline, Syndicalix, Cégétix, Synallagmatix, et qui forme le flanc gauche.

Syndicalix avait failli arriver en retard. De justesse, il avait rejoint sa copine Syndicaline enveloppé dans un épais nuage de fumée qui recouvrait son fameux char magique. Celui-là même qui redémarra en trombe à la seconde où Syndicalix en descendit. Syndicalix était arrivé tendu, tenant nerveusement un cigare à la main.
Synallagmatix, lui, arriva plus tôt et assez décontracté, son stylo magique à la main. Un beau stylo marqué du sceau des artisans du Mont Jaune.
Cégétix fidèle à lui-même ne se posait pas trop de questions. Il préférait comme d’habitude compter ses troupes ; un tic.
Après une dernière oeillade entre eux, ils se retournèrent vers leurs camarades puis portèrent leur regard droit devant eux. Unitairement, ils montèrent en première ligne puis se mirent à courir.

Aussi voici Syndicaline et ses camarades, Syndicalix à ses cotés, puis Cégetix à sa gauche et Synallagmatix à sa droite, encadrant leurs troupes, qui montent à l’assaut, tout droit sur le flanc gauche adverse, celui où se trouve l’infanterie régulière de Girondix.

Les centaines de mètres succèdent aux centaines de mètres. Ils peuvent apercevoir au loin l’infanterie adverse qui attend le choc de la mêlée. Ils se disent même qu’ils les feront reculer. C’est à ce moment-là qu’une chose étrange se produit. Le sol se dérobe sous leurs pieds. Ou plutôt pour un pas qu’ils font, la tourbe sombre et chaude les fait reculer de deux pas. Étrange diablerie. Qu’à cela ne tienne, ils courent de plus belle, finissant par échapper ainsi à ces sables roulants. Mais il leur reste, tout de même, pas mal de terrain à couvrir. Ils tiennent le rythme.

Ils tiennent ce rythme jusqu’à la diablerie suivante. Car soudain le sol se met à transpirer par tous ses pores. Une brume aigre les prend subitement à la gorge. On dirait que le souffle soufré d’un quelconque dragon prisonnier des entrailles de la terre cherche l’air pur afin de le vicier. Sans même avoir le temps de comprendre ce qui se passe, les yeux irrités, le souffle coupé, ils se cognent les uns contre les autres. Puis ce sont des crépitements qui se font entendre tout autour d’eux. Un crépitement qui devient vite un vacarme insupportable. On jurerait que le grésillement de milliers de radios, tels des frelons, s’acharnerent sur eux ; que des milliers de tubes cathodiques implosent tout autour d’eux.

Un phénomène qui n’est rien d’autre que le résultat d’une nouvelle attaque portée par les ondes que venait d’ordonner le général Girondix. Des milliers de missiles longue-portée, chargés en win-win et opinium, lancés depuis les batteries du bourg Télévisium, s’abattent en effet sur eux. Tout n’est que vacarme et brouillard.

Voyant cela les unités de Métallurgix et Carrosserix se portent à leur secours. Sans succès puisqu’ils se font piéger de la même façon. Car en plus des missiles d’opinium et de win-win, l’arti-raillerie de l’infanterie ennemie tonne furieusement. Des bordées d’injures de gros calibre les assaillaient.

« Les 35 heures c’est bon pour les fainéants ! » « Fonctionnaires, tire au flanc !» « Ouvriers mécréants ! » « Le travail des autres c’est ma santé ! »

Dans cet enfer, on réussit à réunir quelques hommes afin qu’ils partent vers les arrière-postes histoire de demander de l’aide. Sur le nombre de messagers envoyés, peu nombreux sont ceux qui réussissent à s’extirper de ce bourbier et à transmettre à Constitutionnix dans quel état se trouve le flanc gauche. Péhèmix et Bétépix y parviennent.

samedi 9 août 2008

CHAPITRE 5 « LA MARÉE, FLUX ET REFLUX » (3/5)


« Comment faire pour les sortir de ce mauvais pas ? » se demande le druide. Constitutionnix avait beau avoir récupéré quelques-uns de ses pouvoirs, il n’en demeurait pas moins trop faible pour résoudre seul cette délicate situation qu’il avait perçu depuis l’étendard avant même l’arrivée des messagers.

Afin de trouver une solution, il fait réunir autour de lui tous les bardes du village. Très vite, une idée émerge. Ils vont tenter de briser la rosserie par l’ironie. Pour cela, les bardes fabriqueront des saillies drolatiques. Pendant ce temps, Constitutionnix se chargera de préparer un ravitaillement énergétique destiné aux troupes présentes sur le front. Des chipolatax et des merguex rituelles, de la sangria mais aussi de la cervoise bénies par lui.

Les messagers quittent les arrières postes chargés de tout cela et d’une promesse d’intervention. Elle ne tarde pas. Les porteurs ont à peine le temps de regagner les avants postes qu’ils peuvent déjà entendre la première salve de ripostes.

Staracademix, chantecommuncoccyx et leurs autres camarades bardes, tous issus de l’ordre sacré des Victoires de la Musix, lancent des saillies qui résonnent ainsi : « Besoin de pain, envie d'un toit » « Le travail c’est la santé, ne rien faire c’est la conserver ! » « Tu mangeras du pain à la sueur de ton front, et bien va donc travailler, rentier ! » « Travailler pour les spéculateurs, c’est usiner le trépalium de ces gangsters !»

Avec cette salve, le bombardement ennemi cesse un moment et le rideau de brouillard se lève un peu.

Les bataillons du flanc gauche en sortent un peu hagards et cherchent leurs chefs du regard. Syndicaline, Syndicalix et Cégétix reprennent assez vite leurs esprits. Mais alors qu’ils s’apprêtent à signifier à leurs troupes la poursuite de l’assaut, ils se rendent compte que Synallagmatix n’est plus présent à leurs cotés. Celui-ci marche déjà bien au loin avec une partie de son unité de contestation, en direction du camp adverse, tous bras tendus tels des zombies. Le sévère bombardement de win-win avait fait son effet. Cédant à une fragilité congénitale, Synallagmatix s’en va signer un accord avec Girondix de la Bosse, faisant même de ce que l’adversaire avait prévu dés le début de lui octroyer, une brillante conquête.

Un tressaillement de doute et de colère saisit Cégétix, Syndicalix et Syndicaline. Mais ils reprennent sans plus attendre le raid en direction de l’infanterie ennemie. Malgré le brouillard qui règne encore sur la plaine, ils savent que celle-ci ne se trouve plus qu’à quelques centaines de mètres, séparée d’eux par une butte. Les voilà qui gravissent la colline, puis qui dévalent la pente, espérant surprendre l’infanterie de Girondix.

Mais de nouveau, un bruit angoissant stoppe net leur course à mi-pente. Un brouhaha d’un autre âge, venu de temps lugubres et inhumains, qui leur coupe les jambes et leur serre le cœur. Oui, la piétaille du bossu s’était déplacée. Une partie se trouve maintenant là, devant eux. Une foule immense qui avance doucement, tirant de lourdes chaînes en fonte plaquées or. Hypnotisés, enchaînés les uns aux autres, la fuite de ceux qui se réveilleraient est impossible. Constitutionnix avait raison. On ne peut rien pour eux.

Désarçonnés par cette image qu’ils n’avaient pas perçue aussi nettement avant l’assaut, ils restent paralysés. Si le doute avait taraudé Syndicaline avant l’offensive, il venait devant ce triste spectacle, d’avaler et de digérer toute sa combativité. Elle ne peut décidément pas marcher sur cette masse certes grommelante, mais familière, constituée de frères et de sœurs de sueur.

Monseigneur jubile. Sa piétaille vient de bloquer la charge du flanc gauche.

vendredi 8 août 2008

CHAPITRE 5 « LA MARÉE, FLUX ET REFLUX » (4/5)


Le flanc droit mené par Didactix était parti à l’assaut au même moment que les autres unités de contestation. Et il s’était également fait prendre dans le bombardement de win-win. Toutefois, les pertes avaient été faibles.

Il se trouve maintenant devant trois bataillons adverses, prêts à recevoir le choc. Celui des « parents d’élèves qui savent tout mieux que les profs » et celui des « parents d’élèves qui préfèrent voir leurs enfants à l’école car les enfants c’est du souci ». Avec derrière ces deux bataillons, la légion spéciale des « eunuques de l’éducation soumis aux caprices parentaux et infantiles », dirigée par Lucius Ferrius, un lieutenant de Girondix. Trois unités unies par la volonté de « se repaître du cœur vaillant des enseignants ».

Alors que les professeurs résolus montent au contact, Monseigneur Girondix depuis son promontoire, se rend compte que ses bataillons ne feront pas le poids face au flanc droit ennemi. Il lui faut résoudre ce problème. Il fait venir BadBercix et sa suite de mages de l’ordre du Chiffre, drapés dans des capes de couleur sombre. Froids comme des superconducteurs, BadBercix, Statistix et Econometrix apparaissent ; « Oui, maître ! Demandez et nous chiffrerons ! ».

Girondix leur montre le problème que constitue cette foule de professeurs. La solution ne se fait pas attendre. Elle est à leurs pieds. Remarquant la lance magique que Thatcheria avait offerte au Bossu, les mages de l’ordre du Chiffre la demandent. Ils la posent au sol et se mettent à tourner autour de la lance en invoquant des modèles économétriques, sociologiques et en se servant de leurs bouliers sacrés ainsi que de leurs chapelets numérologiques.

Après un moment, la lance se met à briller. C’est alors qu’ils prennent la lance magique chargée en fluide numérique et qu’ils la dirigèrent vers le bataillon de professeurs. Comme par enchantement, ceux-ci disparaissent les uns après les autres. Les disparus sont transportés provisoirement dans une dimension parallèle, le royaume de la déesse Statistica, une divinité cyclothymique.

Didactix et ses camarades constatent cela avec horreur. Ils s’attendent impuissants à disparaître à tout moment. Par chance, la lance finit par épuiser tout son fluide numérique, perdant ainsi son pouvoir. Les enseignants cessent de disparaître. Mais les dégâts sont considérables. Il ne reste moins de la moitié du bataillon.

Didactix fait arrêter l’assaut. Il faut évaluer la situation et apporter une remédiation au problème posé. La poursuite de l’offensive devient une chose peu réalisable, même si n’écoutant que son courage, Didactix demeure prêt à se battre seul. Réunissant ses compagnons, l’un d’eux, Agregationix, prends la parole et raconte à ses camarades une petite histoire.

« Il y a bien longtemps, deux maîtres armuriers se disputèrent la place de Grand maître armurier. En effet, le plus jeune des deux ne cessait de quereller son aîné à tel point que le vieux maître demanda au roi de les départager. Le roi accéda à cette demande et leur donna rendez-vous au gué de la rivière sacrée du royaume, à l’automne, pour un petit défi.
Le défi consistait à plonger leur plus belle œuvre au milieu de la rivière et à observer son action sur les feuilles charriées par le cours d’eau ancestral. Le plus jeune des maîtres armuriers tint à être le premier à plonger sa lame. Il en fut ainsi. Il prit sa lame la plus fine et la plongea dans le cours d’eau. Un chêne accepta de concourir à ce que justice s’établisse. Il lâcha l’une de ses feuilles. Celle-ci arriva droit sur l’épée et fut tranchée finement en son milieu. L’assemblée et le chêne furent impressionnés par la qualité de cette lame. Le jeune armurier ne put retenir un éclat de joie. Le roi resta impassible. Le vieux maître vint et plongea une lame aussi fine, aussi tranchante que celle de son cadet dans la rivière. Le vieux chêne lâcha une autre de ses dernières feuilles. La feuille se dirigea, comme la précédente, tout droit sur le tranchant de la lame. Mais au lieu d’être tranchée par cette dernière, le feuille glissa délicatement tout le long de la lame et poursuivi sa route. Il y eut un murmure dans l’assemblée, couvert par les éclats de rire du jeune armurier. Le roi se leva, se dirigea vers le vieux maître et le déclara vainqueur. Ni l’assistance, ni le cadet, rouge de rage, ne comprirent la décision du roi. L’aîné s’inclina modestement devant le souverain et quitta le gué sans mot dire. Le vieux chêne, en signe de respect pour le vieux maître abandonna toutes ses feuilles restantes à la rivière. »

Didactix claque amicalement l’épaule d’Agrégationnix et lui dit « tu as raison, contournons l’obstacle afin d’atteindre ce satané promontoire. Il ne sert à rien de sacrifier nos forces en attaquant de front. On n’a rien à démontrer. »

L’instant d’après, tout le monde court déjà à qui mieux mieux. Ils contournent les bataillons de parents et la légion d’eunuques, pris de vitesse. Paniqué, Monseigneur vocifère : « Lucius Ferrius ! Votre garde est constituée d’incapables ! Faites donc quelque chose ! »

Lucius Ferrius ne voit qu’une solution. De la glue verbale, encore de la glue verbale, toujours de la glue verbale. Il contacte les unités d’artillerie postées à Télévisium et leur demande un tir de barrage concentré sur des coordonnées précises. Il faut tout balancer ; tout ce qui reste d’ogives de glue verbale win-win et d’opinium.

C’est ainsi qu’une grêle d’obus s’abat sur notre vaillant bataillon. Malheureusement pour Lucius Ferrius mais heureusement pour les unités de Didactix, les obus ne sont pas assez nombreux et la glue pas assez épaisse pour immobiliser les enseignants. À plus forte raison que Lucius Ferrius s’était trompé dans le calcul des coordonnées. La plupart des ogives tombent hors champs de combat.

« Bande d’incapables, ça ne suffit pas ! » Rugit le buffle devant l’incompétence de ses inféodés. Si l’unité de Didactix enfonce les phalanges de Lucius Ferrius, ils auront accès au chemin qui mène au promontoire où se trouve Girondix et Démagogix. Que faire ? Profitant du fait que Démagogix soit occupé avec une jeune secretaire, Girondix demande au Baron Wendelium « que ferais-tu à ma place ? ». « Tu n’as pas le choix ; il te faut lancer ton sort le plus puissant, celui que tu as pris à Constitutionnix » répond le Baron. Girondix aurait préféré l’utiliser à un autre moment mais il ne peut se permettre une défaite. Ses maîtres, Dark Speculator et Démagogix ne lui pardonneraient pas. En effet, il n’a pas d’autre choix.

Girondix écarte les bras, les tend vers l’avant et lance l’invocation oghamique du vieux druide. Mais l’invocation qui commence à transpirer du bossu n’est pas dorée mais grise. Et l’odeur que la nuée dispense est celle du plomb en fusion. Une nuée qui se dirige droit sur l’unité de Didactix. La nuée se mêle à la glue. La glue monte en neige, boueuse et visqueuse. Le sort est réussi. La glue verbale montée en neige immobilise les jambes de Didactix et de ses camarades. Les voilà partageant le même sort que le reste des troupes d’Intérêt Général.

Constitutionnix est quant à lui saisi par un courant electrique qui le surprend. Les mots de plomb du bossu avaient fini par retrouver leur maître, redevenant des paroles dorées. Constitutionnix retrouve ses pouvoirs. L’alchimie des mots sacrés lui redonne force et vaillance. C’était déjà cela de pris car cette bataille était perdue. Les unités du village se replient en désordre, tête baissée, les jambes et la volonté ramollies par la glue verbale ennemie, emportant avec elles un étendard rétréci aux trois quarts, aussi diminué que la volonté du village.

Regardant par-dessus leur épaule, certains peuvent même assister à un spectacle effrayant qui leur fait presser le pas. Les étendards des troupes de Démogogix et Girondix prennent vie. Les trois marteaux du baron Wendelium se détachent de la toile et plongent dans les marres de sueur laissée sur le champ de bataille. Glinky, le pacman-fantome, bondit également de son placenta textile.

Oui, les trois-marteaux et le Glinky sont bien vivants et ils se repaissent de la sueur des travailleurs, accroissant par la même occasion le pouvoir de leurs maitres. Le Baron Ernestum Wendelium se disant même que maintenant, grâce à ses marteaux vivants, il va pouvoir fabriquer à la chaîne des chaînes magiques pour entraver une masse toujours plus nombreuse d’hypnotisés.

mardi 5 août 2008

CHAPITRE 5 « LA MARÉE, FLUX ET REFLUX » (5/5)


S’ensuit une longue marche qui restera dans les mémoires comme la longue marche des mis en retrait.

Alors que Monseigneur assiste, joyeux, à la fin de la dispersion des vagues contestataires, Vendesassurancestourix vient le voir pour lui signifier que sa cavalerie a envie de pousser plus loin l’avantage. Une bonne idée. Monseigneur lui accorde son expédition punitive. « Va avec tes braves ! Prends à ta guise serfs et trophées ! » Vendesassurancestourix rejoint ses collègues, tout excité par la chasse qui s’annonce. Rejoignant ses compagnons, il fait un petit crochet par le bosquet où se cache encore Petitfascix et son infanterie charognarde qui espérait retirer de la bataille quelque chose à se mettre sous la dent, pour se moquer d’eux. Petitfascix se dit intérieurement « Va imbécile ! Épuise donc tes forces ! Mon heure viendra ! »

En attendant, c’est l’heure de Vendesassurancestoutrix et de ses compagnons. Telle une meute trop longtemps retenue, ils se ruent à la poursuite des bataillons d’Intérêt Général. « Yah Panzer ! Yah Leclerc ! Yah Chrysler ! Yah Maha ! » crient-ils en étrillant leurs montures. Empressés, assoiffés qu’ils sont, cherchant à l’horizon leur proie déjà loin, ils décident de couper au plus court. Pour cela ils éventrent la masse inerte que constitue maintenant la piétaille.

Heureusement pour nos amis, cette cavalerie stupide se trompe de chemin. La route qu’elle prend les éloigne de nos combattants. Malheureusement elle conduit ces cavaliers droit sur le village Intérêt Général, désormais sans défense. Enragés de ne pas rencontrer l’armée en retraite, ils se vengeront sur le village, ravageant les faubourgs, pillant et emmenant captive, une partie de la population.

À cet instant, nos amis se trouvent encore loin du village, ignorants des dégâts produits par la cavalerie soumise aux désirs de Dark Spéculator. La route est encore longue. Alors que Didactix ronge son frein, se disant que rien ne sera possible sans le réveil et le sursaut de la masse enchaînée, la troupe traverse une jolie forêt. Soudain un épais brouillard s’abat. Nos amis ne voient plus leur route. Le seul point de repère qui demeure est une petite rivière sur leur droite. Ils décident de faire une halte. Didactix en profite pour continuer de réfléchir tout en suivant du regard les vaguelettes qui dansent sur le courant diaphane. Il ne réfléchit pas bien longtemps car une jolie jeune femme, blonde comme le maïs, fait soudainement irruption dans son champ visuel. Didactix s’arrête net. La jeune femme s’approche de lui en souriant. Et son sourire est comme un éclair mettant dans le mille. Didactix est touché par la foudre en plein cœur. Il ne bouge plus. La jeune femme se trouve maintenant toute proche de son visage. Quittant un instant les yeux de Didactix, elle approche ses lèvres de l’oreille gauche de Didactix, où elle y déverse un clapotis continu de paroles.

« Je m’appelle Loanamélusine, la fée des piscines. Le grand dieu Lugh m’envoie vers toi. Le grand dieu solaire, Lugh le polytechnicien, Lugh le grand savant, Lugh le grand artisan m’envoie vers toi pour que je te guide sur le chemin de l’épée magique. Trouve l’épée sacrée gardée dans l’au-delà. Trouve l’épée pourfendeuse d’injustices. Cherche l’épée qui porte un nom de tonnerre. Trouve celle dont tu devras deviner le nom pour libérer le pouvoir. Pour la trouver, il te faudra chercher la porte du monde d’en-bas. Pour trouver la porte de ce monde, retrouve McAfyx le Pirate. Trouve-le et poursuit ton destin ».

Didactix toujours paralysé n’ose rien dire. Loanamélusine s’écarte doucement de lui après avoir frôlé ses lèvres. Elle lui sourit toujours. Puis elle se jette dans la rivière. Son buste sort une dernière fois de l’eau. Son maillot de corps trempé, marquant sa jolie poitrine. Ses boucles blondes soulignant les traits de son visage et son joli regard. Elle sourit encore une fois puis disparaît. Didactix se retrouve bête au bord de cette rivière, devant sa copine Syndicaline et ses autres camarades morts de rire.